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ble qui puisse rire quand des âmes de chrétiens sont en perdition.

Maître Pierre, voyant que la fumée gagnait l’arrière du bâtiment, pensa que le feu faisait des progrès dans ce sens, et, tout en cherchant parmi les manœuvres celle qu’il pouvait sacrifier à faire de l’étoupe, pour aider au calfatage, il fut frappé d’une pensée qui le fit frissonner. — Dites donc, vous autres, quand on a déménagé la chambre, quelqu’un a-t-il pensé au baril de poudre qui était dans la petite soute ? — Un instant de silence succéda à cette interrogation du maître d’équipage. Silence affreux ! On se regardait, on s’interrogeait, on cherchait partout. — Il n’est pas sur le pont, dit, après avoir fait un rapide, mais sûr inventaire, le mousse alerte qui, depuis le matin, avait donné vingt preuves de courage et d’intelligence.

Jésus, Maria ! s’écria M. Dupuis, nous sommes donc perdus ! car le feu gagnera la poudre, et nous sauterons.

Il n’y a peut-être pas dans aucune langue humaine d’expression pour peindre le sentiment qui, à cette nouvelle, fit battre le cœur du capitaine : il avait la fièvre de la colère. Sa rage, qui s’était contenue, fit irruption à ce moment. – Nous sauterons, Dupuis, dit-il en éclatant de rire ; tant mieux ! j’ai toujours eu envie de faire un voyage en l’air.

Des malédictions accueillirent cette parole insensée. – Est-il vrai que nous ayons cette épouvantable chance, dit madame Oppic au lieutenant, que le souvenir de maître Pierre avait pétrifié ? parlez, mon ami, parlez.

Adolphe gardait obstinément le silence. – J’entends, reprit la passagère ; nous sommes condamnés à cette nouvelle appréhension.

— Oui, Désirée, répondit enfin le lieutenant, le barril est resté en bas. J’allais le prendre, quand je me suis senti défaillir au milieu de la fumée ; je suis remonté avec l’intention de l’aller rechercher, et vous savez si depuis j’ai pu quitter le pont.

— Eh bien ! cela de plus, dit tranquillement madame Oppic.

Et la fumée, loin de diminuer, semblait augmenter encore.

— Oh ! mes amis, une excellente idée ! nous n’avons plus ni chanvre, ni laine, ni étoffe quelconque, pour remplir les