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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/30

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trop tard. Les faits l’ont trop rudement meurtrie dans ses chimères, et il ne lui en reste plus, à vrai dire, qu’une amertume sans bornes, par laquelle elle s’accuse et se ronge elle-même.

Ces considérations, qui s’étendent à toute l’Allemagne, sont surtout vraies de la Prusse. C’est là que l’ancienne impartialité et le cosmopolitisme politique ont fait place à une nationalité irritable et colère, et que l’empressement a été grand à se défaire au plus tôt de l’admiration que la révolution de 1830 avait reconquise à la France. C’est là que le parti démagogique a fait d’abord sa paix avec le pouvoir, à la condition de reprendre les provinces d’Alsace et de Lorraine. C’est qu’en effet ce gouvernement donne aujourd’hui à l’Allemagne ce dont elle est le plus avide, l’action, la vie réelle, l’initiative sociale. Il satisfait outre mesure son engouement subit pour la puissance et la force matérielle, et elle lui sait gré de montrer que, sous ce nuage idéal où on se l’était toujours figurée, elle sait au besoin forger comme un autre des armes et des trophées de bronze[1]. Au premier aspect, il est étonnant que le seul gouvernement populaire, au-delà du Rhin, soit presque le seul despotique dans sa forme ; mais ce despotisme n’est pas le despotisme hébété de l’Autriche ; c’est un despotisme intelligent, remuant, entreprenant, auquel il ne manque encore qu’un homme qui regarde et connaît son étoile en plein jour, qui vit de science autant qu’un autre d’ignorance. Entre le peuple et lui, il y a une entente secrète pour ajourner la liberté, et mettre en commun leurs ambitions à la poursuite de la fortune de Frédéric. Pour le reste de l’Allemagne, ce despotisme est plus menaçant que celui de l’Autriche ; car il n’est pas seulement dans le gouvernement, il est dans le pays, il est dans le peuple, il est dans les mœurs et le ton parvenu de l’esprit national ; et puis il ne veut pas seulement durer et s’accroupir comme sur les bords du Danube. L’Autriche peut se contenter de cela. Depuis la réforme, en restant catholique, elle s’est détachée de l’alliance des nations germaniques ; elle s’est fait une destinée à part, et ne cherche fortune qu’au loin.

  1. Le monument de Waterloo à Berlin est en effet de bronze.