Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
358
REVUE DES DEUX MONDES.

sa destinée ; car, dans le cas contraire, l’Angleterre, qui excelle dans la biographie, et qui a même dépassé l’érudition allemande, dans ce genre de travail, la patrie de Boswell, le plus merveilleux des biographes, n’aurait pas manqué de nous en instruire.

Son habileté à saisir et à peindre les portraits ne l’abandonna pas dans ses derniers momens, et l’on trouve dans son Voyage à Lisbonne, dont nous avons extrait le passage précédent, les portraits de l’hôtesse grondeur de l’île de Wight, de l’officier petit-maître qui visite le navire, comparables au curé Abraham Adams et au squire Western. Fielding mourut à Lisbonne, en 1754. Il a emporté son secret avec lui ; et le seul de tous les écrivains anglais qui lui ressemble, Tobias Smollett, est bien loin de son maître et de son modèle.

En achevant cette dernière page, je ne puis me défendre de consigner ici un synchronisme important dans l’histoire littéraire. En 1749, la même année où M. Littleton obtint pour Fielding une place de juge de paix, la ville de Francfort vit naître Goëthe, l’auteur de Wilhelm Meister. Ce rapprochement, puéril en apparence, éveille de sérieuses réflexions sur la destinée diverse de ces deux hommes de génie : la misère et la détresse de l’homme à qui nous devons Tom Jones, comparées au bonheur paisible et inaltérable du ministre d’état de Weimar, renferment à coup sûr une haute leçon, plus concluante que tous les essais passés et à venir, sur les dangers de l’imprévoyance et de la prodigalité.


gustave planche