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distrait des paroles, n’écoutant que sa voix, occupé à son accent insolite et à sa face qui s’éclairait du dedans, j’ai subi sur l’intimité de son être des révélations d’âme à âme qui m’ont fait voir clair en une bien pure essence. Si quelques enchaînemens du livre me sont ainsi échappés, j’y ai gagné d’emporter avec moi le plus vif de l’homme.

Entre les disciples les plus chers de M. de La Mennais, il en est deux surtout dont la destinée se lie à la sienne, et qu’on ne peut s’empêcher de nommer à côté de lui. Tous deux en effet complètent, couronnent leur illustre maître, et, par une sorte de dédoublement heureux, nous présentent chacun une de ses moitiés agrandie et plus en lumière. L’abbé Gerbet a la logique aussi incertaine, mais moins armée d’armes étrangères, une lucidité posée et réfléchie, persuasive avec onction et rayonnante d’un doux amour : l’abbé Lacordaire exprime plutôt le côté oratoire militant avec de la nouveauté et du jeune éclat, il a l’hymne toujours prêt à s’élancer de sa lèvre, et la parole étincelante comme le glaive du lévite.

L’imagination de l’abbé de La Mennais est restée ardente jusqu’à quarante ans : il eût aimé s’en laisser conduire dans le choix et la forme de ses écrits. Son vœu à l’origine, son faible secret ne fut autre, assure-t-il, que celui des poètes, une solitude profonde, un loisir semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs. Il y eut un temps de sa vie où il chérissait la rêverie et la fuite du monde, au point de sauter par-dessus un mur à la campagne pour ne pas rencontrer un domestique de la maison qui venait par le sentier ordinaire. Mais l’action lui parut un devoir, il se l’imposa, et il attribue à l’effort violent qu’elle exige de lui l’espèce d’irritation, d’emportement involontaire, qu’on a remarqué en plusieurs endroits de ses ouvrages, et qu’il est le premier à reconnaître avec candeur. Pour plus de garantie contre le relâchement et par une sorte de sainte inquiétude, il s’est voué à un exercice infatigable dans la rude voie où la grâce l’a glorifié ; c’est un trapiste de l’intelligence ; l’application opiniâtre de la pensée catholique aux diver-