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nous avons possédé ces magnifiques portions de l’Afrique, de l’Amérique et des Indes à des époques à-peu-près contemporaines, époques où nous n’avions pas encore la modestie ou la fatuité nationale de prétendre nous passer de colonies ? Serait-ce parce que nous aurions manqué de courage pour fonder, ou de gloire dans nos revers, deux caractères sans lesquels le hasard et la pitié font vite tomber dans l’oubli ? Mais nous est-il permis de n’être pas fiers en songeant à cette succession non interrompue de valeureux hommes de mers, qui commence avant Duquesne ; c’est déjà plus de deux siècles, et qui ne finit pas à Villeneuve ? N’est-ce rien que ce Duquesne qui bat Ruyter et Tromp, protestans comme lui, en faveur d’un monarque ennemi des protestans ? Duquesne, disant à un capitaine hollandais prisonnier, après la fameuse bataille où périt l’amiral : « Vous portez le cœur de Ruyter ! votre mission est trop belle pour qu’on vous arrête. Gloire à Ruyter ! Allez, vous êtes libre. » Duquesne, brûlant Alger à une époque où notre artillerie était à-peu-près nulle, et vengeant Charles-Quint de sa rodomontade espagnole ? N’est-ce rien que Jean Bart, n’étant pas éclipsé, lui, fils d’un pêcheur de Dunkerque, à côté de Tourville à la fameuse journée de Lagos, qui nous vengea de la Hogue ? N’est-ce rien que Dugay-Trouin succédant sans désavantage à Duquesne, à Jean Bart, à d’Estrées, à Forbin, à Tourville, à Château-Reynaud, et s’emparant de Rio-Janeiro, réputée imprenable, en moins de temps qu’il n’en faut aujourd’hui pour opérer le chargement d’un vaisseau marchand ? Et puis, la Gallissonnière, arrivant assez à temps pour que la marine de Louis xv ne périsse pas tout entière, et qu’elle aille jusqu’à Suffren ! Suffren, foudroyant les Anglais dans l’Inde et voyant venir à lui le plus puissant monarque de l’Asie, le fameux Hyder-Aly, accompagné de quatre-vingt mille Marattes, pour le remercier de sa bravoure ! Et Lapérouse, cherchant avant Parry un passage mystérieux ; ce Lapérouse, disparaissant, lui, son vaisseau, ses équipages ; sombrant avec sa gloire et son épée, les seules choses qu’on ait retrouvées ! N’est-ce rien, et je ne veux pas tout récapituler, qu’Aboukir ; je parle de la bataille