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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

de ce nom car sans cette bataille, qui connaîtrait Aboukir ? Les poissons et les vents ! Aboukir ! cette Waterloo de la mer, plage plus malheureuse encore et plus sacrée que Waterloo, car elle engloutit les premiers hommes de la république, et Waterloo ne frappa à vrai dire qu’un empereur.

De toutes ces raisons, où est celle qui peut expliquer le peu de place qu’occupe la marine dans notre histoire des arts ? On le voit, il n’en est point. Avec beaucoup moins d’avantage que nous, l’Espagne a pour la mer d’immortelles pages, et des poésies comme elle en sait faire ; le Portugal, si paresseux et si peu chantant, a ses poèmes grands comme Camoëns, sonores et larges comme Adamastor ; l’Italie, jusqu’à l’Italie ! a ses chroniques merveilleuses, ses chants nautiques que le rameur jette au rameur en lui disant bonsoir : et sans citer ici Drake, Raleigh, Forbisher, Anson, l’Angleterre a Cook, le Pline des eaux, qui a écrit l’histoire universelle de l’Océan ; Daniel Foe, le plus dramatique, le plus vrai, le plus biblique des écrivains, qui avec un perroquet, une vieille chèvre et un matelot, a surpassé Homère, et vivra autant que lui ; enfin Byron, qui a dit la solitude chrétienne des mers ; ce Job de toute poésie, Byron, qui a dit : « La mer est la seule portion du monde aussi vierge aujourd’hui qu’au premier lever de la création, la seule où le pied de l’homme n’ait pas laissé de traces. »

Cependant ne désespérons pas ; les jours de conquête et d’audace commencent à luire. Les poètes, les historiens, les romanciers nous arrivent. Cette lacune se comblera. En attendant, qu’on nous permette, à nous, critique plus zélé qu’habile, d’indiquer à vol d’oiseau quelques points de ce riche domaine des mers où d’autres iront graver leur immortalité comme Christophe, comme Améric.

Qu’on distingue : je n’ai pas besoin de combattre ici des règles vieillies, pour en soutenir de nouvelles, ainsi que l’a dû, mon illustre ami M. Victor Hugo, dans sa préface de Cromwell. Le grand écrivain avait à détruire et à créer ; il s’adressait à des intelligences neuves ou prévenues, mais attentives ; dans ma position, je sens que je ne parle qu’à des indifférens : ainsi à l’au-