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PHILOSOPHIE DE FICHTE.

influence sur la direction que je comptais suivre dans mes recherches, j’ai tenu parole, je ne leur en ai laissé aucun au moins sciemment, de propos délibéré ; mais je ne m’étais nullement promis de cacher les sentimens que ce résultat ferait naître en moi. Je puis donc avouer combien je me vois, en ce moment, trompé dans mes pressentimens secrets, déjoué dans mes espérances les plus chères. D’un autre côté, je sens dans l’intimité même de mon être que je ne puis réellement, malgré l’apparente certitude des preuves, et leur tranchante rigueur, croire à une explication de moi-même qui attaque jusque dans sa racine ma propre existence, qui éloigne si cruellement de moi le seul but que je me proposasse dans la vie, sans lequel, la vie me serait odieuse, insupportable.

D’où vient cela ? D’où vient que mon cœur se trouble et se déchire à l’aspect des mêmes choses qui satisfont pleinement mon intelligence ? Lorsque dans la nature tout est accord et harmonie, l’homme seul serait-il un composé de dissonances et de contradictions ? ou bien tous les hommes ne sont-ils pas ainsi ; et moi seul le suis-je ? moi et ceux qui me ressemblent ? Je ne le vois que trop ; peut-être aurais-je dû continuer de cheminer dans la vie à travers les sentiers battus où j’ai d’abord marché long-temps. Peut-être ai-je eu tort de vouloir pénétrer dans les mystères mêmes de mon être pour tenter d’y aller surprendre un secret dont la connaissance devait me condamner à un malheur irréparable. Mais pourtant, s’il est vrai que ce secret soit bien réellement celui que j’ai découvert, était-il en mon pouvoir de m’en abstenir ? N’est-ce pas la nature qui l’a voulu, et non moi ? Dès ma naissance j’étais donc voué à la désolation. C’est en vain que je pleurerais la douce innocence d’esprit où j’ai vécu jusqu’ici, elle est perdue, perdue pour ne jamais revenir.


Néanmoins, je reprends courage. Je ne m’abandonnerai pas moi-même. Il y a en moi certaines convictions instinctives qui me paraissent tellement saintes, tellement sacrées, qui se trou-