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vent si profondément mêlées à ce qu’il y a de plus intime dans ma propre nature, qu’en leur nom, pour l’amour d’elles, je prétends protester contre les raisonnemens en apparence irréfutables qui les contredisent. Aussi bien ne serait-il pas impossible que j’eusse fait fausse route. Peut-être n’est-ce pas la vérité que j’ai vue ; ou peut-être n’en était-ce qu’un côté. Je me remettrai donc à l’œuvre comme si de rien n’était. Mais cette fois, pour être plus certain de ne pas m’égarer, je déterminerai d’abord avec précision mon point de départ. — Parmi les révélations nouvelles que m’ont données sur moi-même et ma destination les raisonnemens qui précèdent, quelles sont celles qu’il m’a été le plus pénible de recevoir ? À leur place qu’appelai-je de mes vœux secrets ? C’est là-dessus, ce me semble, qu’il est nécessaire qu’avant tout je sache bien à quoi m’en tenir.

Or ce qui m’a révolté le plus profondément, ce qui m’a rempli d’un douloureux effroi, c’est sans contredit la pensée, que c’est inévitablement que je suis prédestiné à être un honnête homme et un homme sensé ou bien un fou et un méchant, sans qu’il me soit possible de rien changer à ce décret du sort ; que dans le premier cas je n’y ai aucun mérite, que dans le second je ne doive encourir aucun blâme ; que toujours je ne sois que la manifestation passive d’une force en dehors de moi, manifestation qui se trouve à son tour déterminée dans cette force elle-même par d’autres forces en dehors d’elle qui lui sont étrangères. Il m’a été impossible de me contenter d’une sorte de liberté qui ne m’appartenait pas en propre, mais bien une force en dehors de moi qui là même n’existait que subordonnée à un grand nombre de conditions. Une liberté ainsi tronquée, mutilée, une demi-liberté, pour ainsi dire, n’était nullement ce qu’il me fallait ; car ce que je veux au-dessus de toutes choses, c’est d’être indépendant, d’être libre absolument. Je veux que ce que j’appelle moi, ce dont j’ai conscience comme de ma personne, ce qui pourtant dans le nouvel ordre d’idées où je me suis égaré ne serait plus qu’une simple manifestation d’une force supérieure à moi soit au contraire quelque chose en soi et par soi. Je veux être la raison dernière de ce qui se passe en moi. Le rang que