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celui que je leur avais donné n’était qu’une grossière illusion. Ce n’est pas moi qui agis, c’est une force étrangère qui agit en moi. Peu m’importe donc la façon dont elle agira. Je n’ai, moi, qu’à me mettre à l’écart, pour ainsi dire, de ma propre existence. Heureux encore, si je ne suis pas condamné à rougir trop souvent au nom de ce qu’il y a de plus noble dans ma nature. Ce qu’il y a en moi de vraiment saint, de vraiment sacré, est livré à une éternelle profanation.

Il est cependant probable que la raison qui m’avait porté à me croire libre, existant par moi-même avant que j’eusse commencé les recherches dont je recueille en ce moment les fruits amers, se trouvait dans cette sympathie, pour moi, que je n’avais jamais cessé de ressentir, lors même que je n’en avais pas la conscience. Il est probable que c’est elle aussi qui m’avait fait admettre, comme une vérité démontrée, un système qui, après tout, n’a pour lui que le manque de preuves du système contraire. C’est encore elle enfin qui, sans aucun doute, m’avait tenu éloigné jusqu’à présent de la téméraire entreprise que je viens d’accomplir.

À cela, il est vrai, l’autre philosophie ne demeure pas sans réponse. Aride et désenchantée, elle n’en est pas moins inépuisable en raisonnemens, en explications. Elle se charge de m’expliquer jusqu’à l’éloignement qu’elle-même m’inspire, jusqu’à l’entraînement impérieux qui me pousse vers la liberté. Pour elle ma conscience immédiate n’a pas de secrets. Il n’est pas de faits cachés dans ses replis les plus mystérieux que je n’aille y chercher pour le lui objecter ; que, s’en emparant, elle ne me dise aussitôt, cela est vrai, je le dis comme toi, et de plus que toi, je dis pourquoi cela est. – « Lorsque tu te plains avec amertume de voir tes sentimens d’amour et de sympathie déjoués comme ils viennent de l’être, poursuit froidement l’impossible nécessité, c’est que tu te places au point de vue de ta conscience immédiate. Toi-même tu l’as d’abord confessé, puisque tu as commencé par dire que l’objet le plus constant de ces sentimens, ce devait être toi. Or, ce toi, cette personne que tu appelles toi, qui excite à un si haut degré toute ta sympathie, tu l’as déjà reconnu, ce n’est que la manifestation d’une force étrangère. C’est seulement