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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

pour combattre, par le glaive et par la parole, les Sarrasins ; brûler leurs flottes, leurs capitaines, leurs mosquées ; tandis que, pieusement sortis des cloîtres, d’autres, sous le titre si loyalement justifié de frères de la Rédemption, de frères de la Merci, allaient nu-pieds jusqu’aux rivages, montaient avec abnégation la première barque prête à partir, et de là se rendaient à Maroc, à Tunis, à Alger, à Oran ; descendaient au sérail où languissaient les esclaves chrétiens, les rachetaient avec l’or de leurs épargnes, l’or que la crédulité faisait regorger dans le sanctuaire : source que l’on blâmera si l’on veut, mais dont le but sublime n’a plus d’équivalent ni de moyens aujourd’hui ; et quand cet or était insuffisant, ils avaient des prières, et quand ces prières allaient se briser sans bruit contre le turban, alors ils offraient leurs mains aux chaînes : ils disaient aux captifs : « Allez, vous êtes libres ; nous, nous restons. »

Eh bien ! vous qui savez occuper le monde de vos paroles, vous, voix de poètes et d’inspirés, racontez-moi : émerveillez mes oreilles de ces temps si loin de nous ; montrez l’orage et le frère rédempteur calme au milieu de la tempête ; montrez-moi les captifs, brûlés par le soleil, noués à la même chaîne, creusant avec leurs ongles, à midi, des bassins pour la sultane dorée ; montrez-moi sur leur tête le platane ou le dattier sans ombre, le grand désert zébré par l’astre de feu qui fait bouillonner leur cervelle ; et, si cela vous plaît, ouvrez la nuit cette croisée à l’heure où le sérail respire ; puis, penchez-y la captive qui a oublié sa langue, son baptême, son Dieu ; mais qui aime cette langue parlée par les captifs, ce Dieu attaché à leur poitrine. Voici l’étranger qui l’attend, la barque achetée, le vent qui vient du désert : et puis la ceinture glissant le long du mur, le pied nu qui avance, la gorge nue qui palpite ; deux bras ouverts pour recevoir ce qui va tomber… et faites qu’il ne tombe qu’une tête, une tête lourde comme un boulet ; un sabre l’a vue ! Adieu la barque, adieu le vent qui vient du désert ; le vent ne servira qu’à détacher quelques dattes trop mûres des grappes du palmier ! Faites que la nuit soit toujours belle. Ce ciel est impitoyable. Jamais des larmes n’ont coulé de là-haut !