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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/651

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REVUE DES DEUX MONDES.


LE QUATERLY REVIEW ET BÉRANGER.


Le Quarterly Review est en Angleterre, comme chacun sait, l’organe le plus pur, l’expression la plus complète de l’ultrà-torisme. Art, science ou poésie, il ne daigne rien considérer ou juger qu’à distance et de toute la hauteur de son aristocratie. D’un pareil point de vue, il y a pour la critique, il faut le dire, peu de chances d’impartialité, de discernement et d’intelligence, et le noble Aristarque, qui de ses sublimes sommets, braquant sa lorgnette sur ces infiniment petits qu’on appelle des poètes ou des artistes, s’avise ensuite de peser leurs œuvres et leurs vies, court fréquemment le danger de se méprendre lourdement et de faire casser son arrêt par d’universels sifflets. Ainsi advient-il maintes fois au Quarterly Review. Son numéro de janvier contient, par exemple, sur les poésies de Béranger un article fort étendu et fort développé, dans lequel, tout en reconnaissant pleinement le génie du poète, il censure néanmoins sa conduite et ses principes politiques, trouve étrange qu’il ait osé traiter avec irrévérence le de qui précède son nom, et s’étonne excessivement qu’un homme, né dans la classe la plus obscure de la société, ait pu faire des odes, qu’il a su élever au niveau des chefs-d’œuvre poétiques de sa langue. Au surplus, observe avec profondeur l’ingénieux écrivain du Quarterly Review, cette perfection pourrait s’expliquer par la lenteur extrême du travail de M. Béranger, qui souvent emploierait des heures entières à la composition d’une strophe.

Il y a dans ces considérations, ces reproches et ces étonnemens du critique, une candeur de niaiserie qui désarme et fait tomber des mains le fouet dont on s’apprêtait à le fustiger. D’autres se sont d’ailleurs déjà chargés de lui donner les étrivières ; quant à nous, en vérité, nous lui faisons grâce. Seulement nous tenons à honneur que ce soit un journal anglais (l’Examiner, feuille fort spirituelle et fort piquante, bien que des plus plébéiennes) qui ait fait immédiatement justice des inepties et de la fatuité du très haut et très puissant Quarterly Review. Cette correction suffit. Il serait par trop plaisant qu’il fallût chez nous discuter sérieusement et châtier de pareilles fadaises, et qu’il fût besoin de faire en France l’apologie de Béranger, lui qui, du petit nombre de ceux que nos vicissitudes politiques n’ont jamais vus spéculer sur leurs titres à la reconnaissance du pays, demeuré fidèle à sa conscience et à sa pauvreté, l’ami constant et désintéressé de la liberté, nous a montré dans le Chansonnier tout à-la-fois le poète national et l’un des plus dignes et des plus beaux caractères de l’époque.