leurs pas sur le pont avec une cadence fortement marquée. Il s’agissait de lever l’ancre en virant de bord pour prendre le vent. Déjà nous avions quelques voiles déployées et d’autres préparées à l’être : l’ancre était arrachée du fond, et nous tournions sur nous-mêmes avec une vitesse qui allait s’accélérant, lorsque de grands cris s’élevèrent d’une embarcation prise dans nos manœuvres, et que nous allions couler bas. À ce bruit, les timoniers voulurent vainement arrêter le mouvement du vaisseau à l’aide du gouvernail ; le gouvernail fut rebelle à leurs efforts. Quelques secondes de plus, et c’en était fait de l’embarcation. Mais deux ou trois voiles déployées à l’ordre du commandant paralysèrent l’effet des premières, et le vaisseau s’arrêta court, se balançant fortement sur sa quille, craquant dans toutes ses jointures, comme frémissant d’impatience sous la main vigoureuse qui le domptait. L’embarcation s’éloigna à force de rames. Notre première impulsion nous fut rendue, et bientôt, présentant au vent toutes nos voiles dans une direction favorable, nous nous élançâmes en bondissant légèrement.
Nous vîmes successivement disparaître derrière nous la grosse tour, le fort Lamalgue, le cape Sepé. Les îles d’Hyères se montrèrent encore quelque temps à notre gauche empourprées de la lumière du couchant ; à notre droite, une côte montagneuse s’enveloppait d’un voile de vapeurs auquel les derniers rayons du soleil faisaient pendre de nombreux festons, attachaient d’élégantes broderies ; puis enfin la mer se déroula devant nous immense, sans limites, image de l’infini pour les faibles yeux de l’homme. Les étoiles ne tardèrent pas à poindre sur l’azur du ciel devenu plus sombre, la vague à étinceler. L’escadre s’enfuit dans les ténèbres pendant que le soleil s’éteignit à l’horizon, et bientôt de tout ce magnifique spectacle qui peu d’instans auparavant enchantait les yeux et l’imagination, il ne resta plus que quelques fantômes blanchâtres qu’on apercevait çà et là dans l’immensité, faisant jaillir à leurs pieds mille lueurs phosphorescentes.
À leur sortie de la rade, les vaisseaux s’étaient mêlés, s’étaient croisés en tous sens jusqu’à ce que de cette confusion momentanée, fut sorti l’ordre définitif dans lequel nous devions marcher : aussi le soleil du lendemain nous les montra-t-il divisés en trois immenses colonnes, dont les extrémités se perdaient à l’horizon. Les vaisseaux s’avançaient majestueusement, voiles à moitié déployées. Les frégates, plus légères, semblaient avoir peine