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le nouvel échiquier où se trouva transportée notre partie.

Dès le lendemain, les Turcs amenèrent du canon de gros calibre sur le grand plateau qu’ils occupaient. Il en résulta que nous échangeâmes ensemble quelques boulets sur trois ou quatre points. Il se fit en même temps une assez vive fusillade sur toute notre ligne, entre nos tirailleurs et les leurs. Comme à notre première position, nous en fûmes, dans celle-ci, entourés, harcelés du matin au soir : nous ne pouvions faire un détachement qui leur échappât : ils voltigeaient, bourdonnaient, pour ainsi dire, autour de nous à la façon d’un essaim d’abeilles qu’on a troublé dans sa ruche. Mais ici aussi, ils bornèrent leurs entreprises à cette misérable tiraillade, sans but et sans résultats, au moins dans une aussi courte campagne. Un jour seulement, nous fûmes assez sérieusement attaqués sur notre droite. Ils étaient rassemblés au nombre de trois ou quatre mille sans que nous eussions pu nous en douter à cause des accidens de terrain qui nous les cachaient ; le feu avait été moins nourri de ce côté que de coutume ; on y était sans défiance ; pour comble de fatalité, le bataillon de l’extrême droite était occupé à nettoyer ses armes : nous fûmes donc surpris. Les soldats n’ayant pour armes que des fusils démontés, ne purent que se sauver, chacun pour soi, abandonnant à l’ennemi un terrain assez considérable. Ce ne fut toutefois que pour peu de minutes. Nous le reprîmes bientôt à l’aide de deux ou trois compagnies d’élite soutenues par un bataillon. Le seul point où ils se battissent avec un véritable acharnement, était le petit bois dont j’ai parlé. Il était essentiel pour nous d’occuper ce point, parce qu’il coupait la ligne de nos avant-postes, et aurait donné le moyen à ceux qui en auraient été maîtres de les prendre à revers : en même temps le tombeau du marabout en faisait pour de vrais croyans un lieu sacré qu’ils ne pouvaient se résoudre à livrer à nos profanations. Ce concours de circonstances fit qu’on ne cessa presque pas un instant de s’y battre. Je ne crois pas qu’il s’y trouvât un seul arbre qui, au bout de peu de jours, ne fût brisé, criblé de coups de feu. La terre en plusieurs endroits était toute détrempée de sang, et les pierres des tombeaux posés de champ, sur lesquelles les Arabes coupaient les têtes des cadavres qui leur tombaient entre les mains, demeurèrent pendant long-temps chargées de lambeaux de chair humaine.

Un jeune officier d’artillerie paya cher l’imprudence d’avoir voulu se rendre de cette position au camp de Staoueli, sans autre compagnon qu’un employé de l’administration de l’armée.