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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/687

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REVUE DES DEUX MONDES.

du manteau de fumée, de la couronne et de la ceinture de feu dont il était entouré depuis le matin. Il était silencieux, aux abois ; il tremblait, il s’ébranlait sous nos coups. Mais alors nos batteries d’enfilade, ayant des points de mire assurés, inondèrent d’une pluie d’obus ses parapets déserts ; notre batterie de brèche, où l’on n’avait plus de temps à perdre, pour viser aux embrasures, se mit à précipiter ses coups avec une sorte de furie, et la façade attaquée, se découpant rapidement sous le boulet, présenta bientôt plus de vide que de plein. Ce ne fut plus qu’une sorte de dentelle de pierres, menaçant à tout instant de se déchirer de bas en haut.

Les défenseurs du château se trouvèrent alors dans une position vraiment critique. Ils étaient entassés deux mille dans un terre-plein, calculé pour cinq à six cents hommes. Nos obus, au dire de l’un d’eux, arrivaient dans leurs rangs, comme si nous les avions mis avec la main. Ils en étaient réduits à se précipiter à l’envi sur ceux qu’ils voyaient arriver, pour les rejeter à quelques pas, afin d’en éviter les éclats, faisant ainsi, par prudence, ce qui partout ailleurs eût été un acte d’intrépide sang-froid, presque de témérité. Le commandant de cette brave garnison, vieillard de soixante et quelques années, fut renversé trois fois.

Depuis long-temps, sur les remparts déserts il ne se montrait plus qu’un seul homme, un nègre ; et à de rares intervalles ; approchant la tête d’une embrasure, il semblait examiner l’état de la brèche ; à sa dernière excursion, il enleva les drapeaux qui flottaient aux angles du château ; puis presqu’au même instant, où nous le perdîmes de vue, nous vîmes le château tout entier disparaître au milieu d’une éruption de flammes et de fumée sortie de ses propres flancs. Ce fut un vaste tourbillon, une trombe effrayante du premier bond touchant aux nuages et montant encore : ce fut encore une sorte de fantôme gigantesque, couvrant un vaste terrain, sous les plis ondoyans de sa large robe. Cela dura quelques instans ; puis l’apparition se dissipant enfin quelque peu à force de s’étendre, nous n’aperçûmes plus à la place qu’avait occupée Sultan-Calaci, qu’un amas de ruines et de débris.

Avant d’en venir à cette extrémité, et voulant se mettre en règle vis-à-vis Vauban, les Turcs auraient dû attendre sans doute que la brèche eût été praticable, et nous dessus. Le volcan eût été sous nos pieds, non plus devant nos yeux. Mais ces