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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/699

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renommée de temps immémorial pour son extrême piété. Il se rappelait encore, parfois avec émotion, avoir, pendant son enfance, accompagné fréquemment sa mère en pèlerinage à Jérusalem. Dans cette famille, la tradition avait conservé ineffaçables, à travers les siècles, les souvenirs des croisades. Il était peu de jours où ces grands évènemens ne revinssent pas dans la conversation. Et comme depuis ce moment où la domination musulmane avait été sur le point d’être brisée par l’épée des chrétiens, le tombeau du Christ délivré, rien de vraiment important ne s’était passé dans le monde pour ceux qui gémissaient encore sous cette domination, qui voyaient encore ce tombeau journellement profané ; comme rien de nouveau, en quelque sorte, ne s’était mis là entre ces évènemens et les récits qui s’en faisaient, après tant d’années écoulées, ils remuaient aussi fortement les cœurs et les imaginations que s’ils fussent arrivés de la veille. Le temps s’était, en quelque sorte, arrêté depuis six siècles sur le seuil de la maison qu’habitait Jacob. L’on y vivait contemporain de saint Louis ; mais l’on y vivait aussi sous la sanguinaire tyrannie de Djezzer, pacha de Saint-Jean-d’Acre. Pendant de longues années, les chrétiens, en leur double qualité de vaincus et d’ennemis du prophète, en avaient souffert plus encore que ses autres sujets. La coupe d’amertume leur paraissait même tellement emplie, que c’était une raison pour que l’espérance commençât à renaître, et les plus hardis en étaient à se dire tout bas qu’il n’était pas possible que Dieu permît que cela durât encore long-temps de la sorte.

C’est dans ces circonstances, c’est après avoir été nourri dans de semblables sentimens que Jacob reçut un beau matin la proclamation de Bonaparte qui annonçait la marche de l’armée française ; il appelait aux armes les chrétiens de Syrie. Jacob n’hésita pas un instant. Il crut les temps venus où, suivant d’antiques traditions qui n’avaient jamais cessé de consoler les chrétiens, la terre sainte allait sortir des mains des infidèles. À peine se donna-t-il le temps de faire disposer son château à recevoir garnison nombreuse. Il rassembla à la hâte ce qu’il put trouver sous la main de chevaux arabes, d’objets précieux, d’argent comptant, et il vint à la tête d’une soixantaine de membres de sa propre famille se présenter aux Français. Vous devinerez facilement qu’il dut être bien reçu. Au siége de Saint-Jean-d’Acre il fut le commensal habituel de Bonaparte. Après le siége, lorsque, suivant une expression de Bonaparte, Sidney-Smith lui eut