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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

fait manquer sa fortune, force fut à Jacob de suivre l’armée hors de Syrie. Proscrit dans son pays, où sa tête était mise à prix, le camp français était devenu sa patrie. Bonaparte eut un moment la pensée de le mettre à la tête de quelques régimens de chrétiens cophthes. Mais ce projet n’avait encore reçu aucune exécution lorsque l’armée revint en France, où Jacob l’accompagna.

Sous la préoccupation des idées qui l’avaient conduit parmi les Français, Jacob, à peine arrivé dans leur camp, avait trouvé de fréquens sujets d’étonnement. Aux premiers pas qu’il fit, il se rencontra avec un général qui, ayant saisi par sa barbe blanche le supérieur d’un couvent de chrétiens syriaques, l’en secouait assez rudement : il s’agissait de réquisitions auxquelles le bonhomme ne voulait point entendre : ce n’était très probablement qu’une menace ; toutefois ces manières n’en parurent pas moins quelque peu étranges à Jacob dans le compagnon d’un nouveau saint Louis. Le lendemain il se fatigua inutilement à chercher dans tout le camp le lieu où se disait la messe : il était seul, à ce qu’il paraît, à la prière du matin, seul aussi à celle du soir. Ce fut encore pis en France ; la première église à laquelle il courut était devenue un magasin à fourrage. Apprenant un peu le français, il entendit parler guerre d’Allemagne, guerre d’Italie, journée de fructidor, vendémiaire, brumaire, peut-être encore Pitt et Cobourg par quelques arriérés ; mais terre sainte, tombeau du Christ et sa délivrance, personne n’en disait mot. À la vue de tout cela, à tous ces discours, Jacob se frotta long-temps les yeux, puis enfin finit par s’éveiller homme de son temps. D’ailleurs il ne s’appartenait plus. Bonaparte avait mis la main sur lui. Il l’avait saisi de cette rude main avec laquelle il savait broyer, pétrir, amalgamer ensemble, pour en élever le piédestal de sa toute puissance, les élémens les plus rebelles, les plus hétérogènes ; de ce chrétien fervent, de ce croisé oublié dans notre siècle, il fit le colonel d’une troupe de mahométans ou plutôt de mécréans, s’il en fut jamais, de ces brillans mamelucks de la garde impériale. Jacob fit à la tête de ce corps toutes les campagnes de l’empire. La restauration l’avait mis en retraite ; mais, au premier coup de canon que cette restauration avait tiré contre les Turcs qu’il n’avait jamais cessé de haïr du fond du cœur, il était accouru ; et, faute de mieux, s’était fait interprète.

Passons maintenant au républicain. Celui-ci, volontaire des premiers temps de la république, commandait un bataillon dans