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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/705

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REVUE DES DEUX MONDES.

seau de haut-bord, ne devra pas vous arrêter long-temps. Entrez donc dans la ville.

Celle-ci peut se diviser en trois parties, en trois zones. La première, comprise entre le port et une grande rue allant de la porte Bab-el-Wed à la porte Bab-Azoun ; la deuxième, à limites assez indécises, formées de cette rue elle-même et des rues adjacentes ; la troisième, embrassant l’espace qui se trouve entre cette seconde partie, cette seconde zone et la Casauba ; au-delà se trouve la Casauba, attenante à la ville, mais en étant cependant tout-à-fait distincte.

En sortant du port, on entre dans d’obscures, d’étroites ruelles dont la première qui se présente conduit à la grande et large rue de Bab-el-Wed, à Bab-Azoun.

Cette dernière rue est la plus longue et la plus large de la ville. À vrai dire, elle seule même a quelques rapports avec nos rues d’Europe. C’est seulement par elle que peuvent communiquer entre eux les faubourgs considérables situés à l’est et à l’ouest de la ville, ainsi que les campagnes qui sont au-delà. Elle est garnie de boutiques de toutes sortes, mais surtout d’échoppes de barbiers, qui sont autant de lieux de réunion, de cafés. Parallèle au rivage, elle est horizontale dans toute sa longueur ; ce qui la rend le seul lieu de la ville où l’on puisse faire un peu de chemin sans monter ou descendre. C’est donc tout à-la-fois une grande route, un bazar, une promenade. Ces raisons diverses y faisaient affluer, du matin au soir, une foule sans cesse renouvelée. Juifs, Maures, Turcs, Bédouins, Kolouglis, fantassins, cavaliers, artilleurs, s’y pressaient, s’y coudoyaient à qui mieux mieux. Il fallait un quart d’heure pour faire dix pas. Les Kolouglis s’y faisaient remarquer à la beauté régulière de leurs traits : les Turcs, à leurs figures mâles et décidées ; quelques ulémas, à leurs turbans blancs soigneusement plissés ; les Bédouins, à leur mine féroce, à leurs bournous, roulés autour du corps en manteau, rattachés sur la tête en guise de turban ; les nègres et les négresses, à des vêtemens toujours blancs, afin que l’ébène de leurs visages en soit plus éclatant, ou bien encore, à leurs ornemens d’argent, à leurs joues bizarrement tailladées ; les femmes juives, à leurs cheveux noirs relevés, ou retombant en nattes, comme on les portait, sans doute, sous la tente des patriarches ; les Juifs enfin, à leurs coiffures, à leurs vêtemens toujours noirs, car les Turcs leur avaient imposé cette couleur sinistre, les avaient voués à ce deuil éternel.