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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

Vues d’une certaine élévation, toutes ces têtes, si diverses de traits, de couleurs et d’expression, paraissaient se toucher, tant la foule était pressée ; elles roulaient, elles coulaient, en quelque sorte, devant vous comme une rivière, comme un torrent fantastique. En même temps, l’oreille était frappée d’un mélange confus de cris, d’imprécations, de juremens, en dix langues diverses, formant certainement le plus étrange bruissement qui ait été entendu depuis Babel.

Au-delà de ce lieu, en se dirigeant vers la Casauba, on entre dans un dédale de rues qui ne ressemblent en rien à ce que l’on quitte.

Celles-ci vont toutes du palais du dey à cette grande rue de Bab-el-Wed, à Bab-Azoun, qu’elles coupent sous des angles divers. Elles s’épanouissent à la façon des branches d’un éventail, avec cette différence pourtant, c’est qu’au lieu d’aller en ligne droite, du point de départ à la base, faisant entre elles des angles égaux, elles se mêlent, se croisent, se brouillent en chemin, de manière à former le labyrinthe le plus énigmatique qu’on puisse imaginer. On les dirait bâties sur le plan d’un écheveau de fil avec lequel aurait joué un chat. Ces rues sont désertes. On y marche entre deux rangs de maisons si rapprochées qu’on se croit parfois menacé d’en être étouffé ; dans certain passage on se trouve pris comme dans un étau. Le ciel n’apparaît le plus souvent que comme une ligne bleuâtre. Parfois on le perd tout-à-fait de vue, ne laissant entre elles que de sombres corridors. Les maisons, qui se font face, se touchent en général par leurs étages supérieurs. Leurs fenêtres sont rares, étroites, soigneusement grillées : leurs portes basses, cachées autant que possible ; quelques-unes, mais en petit nombre, assez élégamment sculptées. À chaque pas on se heurte à des ruines ; on ne rencontre que solitude, nuit, silence ; mais en revanche, si d’aventure un rayon du soleil vient à tomber au milieu de l’obscurité sur quelque Juive à la robe antique et aux longs cheveux noirs, sur un Turc, sur un Maure aux vêtemens pittoresques, sur un groupe de fumeurs réunis au fond de la boutique d’un barbier, vous avez devant vous mille jolis tableaux de genre, que vous regretterez long-temps de n’avoir pu fixer sur la toile.

On peut errer long-temps dans ces rues. On ne saurait s’y égarer complètement. Descend-on leur pente rapide, on se