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Auguste, donne des fêtes dans la salle de Porphyre, comme à l’hôtel Saint-Pol ; le carnaval court les rues de Constantinople ; on soupire, on se bat, on se tue en duel, comme dans le pré aux Clercs ; des évêques de Soissons et de Troyes controversent avec les patriarches de l’église grecque ; quand ils ne s’entendent pas ils se brûlent comme en Sorbonne ; ainsi après le bal, l’incendie ; sur l’incendie, un empereur français. Cet empereur, c’est Baudouin, comte de Flandre ; Baudouin qui, du haut de son bouclier, proclame des ducs de Nicée, des comtes de Lybie, des maréchaux de Romanie, des marquis de Numidie ; Candie devient un fief, l’Achaïe une principauté.

Toujours la mer à l’horizon, car cette civilisation dont je parle est flottante. Le sable a passé sur ces duchés ; le champignon a crû sur ces souvenirs ; à Constantinople des descendans de Comnène vous enseignent aujourd’hui le chemin des faubourgs, et chargent la pipe des rayas à la porte des cafés.

Mais à la fin du quinzième siècle, Vasco de Gama double le cap de Bonne-Espérance, ce n’est que deux lignes de plus allongées en cap sur une carte trop nue ; c’est un coude qu’on n’avait pas soupçonné : voilà le commerce des caravanes anéanti. L’Orient périt, Venise qui en est le comptoir, Gênes, la bourse, sont ruinés ; celle-là se fait la fille de joie de l’Europe, l’autre la suivante. Le Portugal trouve l’Espagne bien petite, lui qui en est la frange qu’elle traîne dans l’eau. Mais l’Espagne a son tour ; Colomb devine l’Amérique ; l’Europe découvre Luther : deux prodiges en présence. Sans Colomb, c’en était fait aussitôt du catholicisme, auquel le nouveau monde vint donner de l’occupation. Mais, dans cette lutte où il fallut un monde pour arrêter une idée, c’est l’idée qui a vaincu. L’Amérique est passée aux mains des Anglais qui sont luthériens.

Cette vérité de fait amène une réflexion bien douloureuse pour l’Espagne, pour le Portugal, comme pour la France, et pour toutes les nations métropolitaines qui ont si mal compris l’usage de la possession. Elles ont cru fonder par la conquête et le prosélytisme religieux, deux tyrannies qu’on n’accepte jamais ; c’est au commerce seul que ce droit appartient. Si les provinces