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REVUE. — CHRONIQUE.

assez de mérite pour ne point l’obtenir et surtout pour s’en passer. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage n’en a pas moins réussi hors de l’académie et malgré son suffrage. Le public a cette fois encore et avec justice homologué pour M. Alletz le jugement des quarante.

Bien qu’il se présente à nous sans être revêtu de leur apostille, le second volume des Esquisses de la souffrance morale ne nous semble néanmoins nullement inférieur au premier. Les morceaux qui le composent se développent avec plus d’aisance dans de plus larges cadres. Exécutées sur de plus vastes toiles, les esquisses deviennent ici des peintures réelles, de vrais tableaux. La Captivité est l’histoire de l’une des dernières victimes de l’inquisition d’état de Venise. Ce récit est des plus touchans ; seulement l’imagination du prisonnier se promène-t-elle peut-être trop long-temps dans ses souvenirs de bonheur, et n’est-elle pas assez souvent prisonnière elle-même. J’aurais voulu que le poids des fers eût enchaîné quelque peu son vol, et que le journal du captif retraçât avec plus de détails, et jour par jour, heure par heure, instant par instant, cette vie du cachot si lente, si monotone, si sombre, si désespérée. L’étude de cette souffrance morale en serait, il me semble, plus complète encore et plus profonde. Dans l’Épouse coupable, sans nuire à l’intérêt de sa fable, l’auteur a su grouper et analyser habilement toutes les douleurs, tous les déchiremens d’une âme fière et passionnée, trahie indignement et livrée en proie aux atroces tortures de la jalousie. La Proscription, dans une suite de scènes vives et animées, nous fait assister à la longue agonie et à la mort des plus célèbres girondins. Ce drame, écrit et conduit avec vigueur, nous paraît le morceau le plus remarquable du volume.

En résumé, ce dernier ouvrage de M. Alletz, l’un de ses travaux les plus consciencieux et les plus recommandables, élève et consolide l’édifice qu’il bâtit laborieusement depuis plusieurs années. C’est une pierre de plus apportée à son œuvre. Il ne s’agit de rien moins pour lui que de la reconstruction de la foi sur les fondemens de la morale et de la philosophie. En des temps comme les nôtres, l’entreprise est honorable et courageuse. « Naguère », dit lui-même M. Alletz dans l’avant-propos du second volume de ses Esquisses, et nous ne pouvons mieux finir que par cette citation ; « naguère les croyances étaient regardées comme des opinions politiques ; les choses avaient été poussées à ce point, qu’une sorte d’honnêteté faisait fuir l’apparence d’un attachement à la religion, et que la pudeur se trouvait placée entre l’homme et l’autel. — Espérons que la véritable foi renaîtra, aujourd’hui que son semblant n’est plus récompensé par des honneurs… Les ouvrages que j’ai publiés, ont tous été conçus sous l’inspiration de cette espérance, etc. »

Il est beau, lorsque, par des voies moins escarpées, on pouvait aisément arriver à de rapides et brillans succès, d’avoir ainsi voué, bien jeune encore, toutes ses forces, toute sa vie à l’accomplissement d’une tâche difficile et austère. Espérons aussi qu’avec tout son talent, au milieu des préoccupations politiques et de la profonde indifférence du siècle, M. Alletz n’aura pas fait retentir sa voix dans le désert.