Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

vingt autres mouillent ; le soleil luit ou la marée se retire. Ceci est à peine la silhouette d’un port. Vous en avez mille, et pas un qui ressemble à l’autre.

Quand j’insisterais plus long-temps sur la théorie de cette littérature, dont la poétique est toute à construire depuis l’alphabet jusqu’à l’éloquence, je laisserais infailliblement plus de règles dans l’oubli que je ne saurais en indiquer. La voix humaine n’a que quelques sons, tout instrument ne possède qu’un très petit nombre de notes primitives. Il n’y a que les nuances et les contrastes que le génie ne tarit pas.

Car je suis loin et très loin d’avoir dit la magnificence inépuisable de la mer, si variée sous chaque arc de latitude, si différente à chaque profondeur, qui roule des perles ou du sable, qui rougit le corail ou éteint des laves, qui se joue avec les orangers de Naples ou menace les clochers d’Amsterdam, qui ne mouille pas l’aile de l’Alcyon et engloutit des continents, qui est le miroir des astres !

Mais sur quel genre de lecteurs pourrait-on compter en hérissant un livre de termes de marine ? Quelle femme n’éprouverait des maux de nerfs à la sauvage nomenclature du vaisseau ? Qui oserait parler des boulines, de la carlingue, de la civadière, sans exciter le découragement le plus profond à une telle lecture ? Et qui demande d’abord cette maladroite profusion de termes techniques ? Pourquoi une sage retenue n’habituerait-elle pas le lecteur à ne prendre de pédantisme que ce qu’il pourrait graduellement en supporter ? Qu’y a-t-il de plus sévère, de moins à la portée des intelligences ordinaires que la physiologie, l’anatomie et la métaphysique ? Et pourtant, en combinant ces trois sciences, Bichat n’a-t-il pas fait le plus clair, le plus simple, le plus attrayant et à la fois le plus profond des traités ? D’ailleurs, quand je réclame les droits d’une littérature maritime, je ne suppose pas que tout l’intérêt soit dans l’emploi pédantesque des termes. Des chapitres, des volumes entiers de M. Cooper en sont totalement dépourvus, et ce ne sont pas les moins empreints de ce sentiment, qui est toute la science. C’est la vie et les mœurs faites par la mer, qu’il s’agit de peindre ; c’est cette exis-