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tence isolée et multiple, cette existence sans point d’appui, et qui cependant touche à tous les points du monde, entourée de périls et qui les oublie, qui épouse la mer non par une vaine cérémonie, comme le doge vénitien, mais qui aime la mer, qui la défend, qui n’a pas de chagrins, de plaisirs, d’espérances qu’elle ne lui confie ; car la mer est pour elle, pour cette existence, le lit, la table et le tombeau.

Au surplus, il serait temps de sortir courageusement une fois pour toutes des liens d’une langue qui n’accordera rien sans qu’on la maîtrise. Il faut laisser crier : elle est femme ; elle aime les hardis. Laissez mordre. On ne viole guère que ce qu’on a séduit.

La langue française n’est encore que française : il nous la faut turque avec l’orient, italienne au-delà des Alpes, castillane au-delà des Pyrénées, nue avec le Nouveau-Monde ; il faut qu’elle soit parfumée de tabac, d’algue et de goudron, avec la mer. La tête lui tournera un peu. Elle dira souvent une chose pour l’autre ; mais les voyages la formeront.


léon gozlan