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REVUE DES DEUX MONDES.

Un œillet sur sa tête, et chantait et jasait
Sur les passans nombreux, sur la riche vallée,
Comme un large tapis à ses pieds étalée ;
Beau tapis de velours chatoyant et changeant,
Semé de clochers d’or et de maisons d’argent,
Tous pareils aux jouets qu’aux enfans on achète,
Et qu’au hasard, pour eux, par la chambre l’on jette :
Ainsi pour lui complaire, on avait sous ses pieds
Répandu des bijoux brillans, multipliés
En forme de troupeaux, de village aux toits roses
Ou bleus, d’arbres rangés, de fleurs sous l’onde écloses
De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts
Et de chênes tordus par la poitrine ouverts,
Elle voyait ainsi tout préparé pour elle :
Enfant elle jouait en marchant, toute belle,
Toute blonde, amoureuse et fière, et c’est ainsi
Qu’ils allèrent à pied jusqu’à Montmorency.

II.

Ils passèrent deux jours d’amour et d’harmonie,
De chants et de baisers, de voix, de lèvre unie,
De regards confondus, de soupirs bienheureux,
Qui furent deux momens et deux siècles pour eux.
La nuit on entendait leurs chants, dans la journée
Leur sommeil ; tant leur âme était abandonnée
Aux caprices divins du désir ! Leurs repas
Étaient rares, distraits ; ils ne les voyaient pas.
Ils allaient, ils allaient au hasard et sans heures ;
Passant des champs aux bois et des bois aux demeures,
Se regardant toujours, laissant les airs chantés
Mourir, et tout d’un coup restaient comme enchantés.
L’extase avait fini par éblouir leur âme,
Comme seraient nos yeux éblouis par la flamme ;