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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

sera à te rapporter l’hommage d’adoration qui t’est dû tout aussi justement qu’à tous les hommes d’action qui pensent si peu et qui savent si peu comment ce qu’ils ont fait s’est fait, et qui sont bien loin de ta modestie et de ta candeur philosophiques. Qu’il ne soit pas dit qu’on ne t’ait pas rendu hommage : c’est toi, ô Blaireau ! qui es véritablement l’homme de la Destinée.

Cela dit, je m’inclinai avec un respect réel et plein d’humiliation, après avoir vu ainsi tout au fond de la source d’un des plus grands évènemens politiques du monde.

Blaireau pensa, je ne sais pourquoi, que je me moquais de lui. Il retira sa main des miennes très doucement par respect, et se gratta la tête :

— Si c’était, dit ce grand homme, un effet de votre bonté de regarder un peu mon bras gauche, seulement pour voir.

— C’est juste, dis-je.

Il ôta sa manche, et je pris une torche.

— Remercie Henriot, mon fils, lui dis-je, il t’a défait des plus dangereux de tes hiéroglyphes. Les fleurs de lys, les Bourbons et Madeleine sont enlevés avec l’épiderme, et après demain tu seras guéri et marié si tu veux.

Je lui serrai le bras avec mon mouchoir, je l’emmenai chez moi, et ce qui fut dit fut fait.

De long-temps encore je ne pus dormir, car le serpent était écrasé, mais il avait dévoré le cygne de la France.


Vous connaissez trop votre monde, pour que je cherche à vous persuader que mademoiselle de Coigny s’empoisonna, et que madame de Sainl-Aignan se poignarda. Si la douleur fut un poison pour elles, ce fut un poison lent. Le 9 thermidor les fit sortir de prison. Mademoiselle de Coigny se réfugia dans le mariage ; mais bien des choses m’ont porté à croire qu’elle ne se trouva pas très bien de ce lieu d’asile. — Pour madame de Saint-Aignan, un long veuvage, une mélancolie douce et