Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
LUIZ DE CAMOENS.

Luiz de Atayde nommé, pour la seconde fois, vice-roi de l’Inde.

Malgré la célébrité que lui avait donnée son poème, il vivait dans la retraite, car sa pauvreté était extrême. Il habitait une petite chambre dans une maison attenant l’église du couvent de Santa Anna des religieuses franciscaines, au bout d’une petite rue qui conduisait à la maison des jésuites.

Sa verve poétique, jusque-là si abondante et si facile, commença à tarir. Pedro de Mariz rapporte qu’un homme riche et de qualité, dom Ruy Dias da Camara (Faria e Sousa l’appelle dom Ruy Gonçales), lui commanda une traduction des psaumes de la pénitence. La besogne n’avançait pas. L’acheteur s’en plaignit durement au poète, qui lui répondit avec douceur : • Quand je faisais des vers, j’étais jeune, bien portant, amoureux, entouré de l’affection de beaucoup d’amis et de la faveur des dames ; cela me réchauffait et animait ma verve. Aujourd’hui je n’ai plus d’esprit, je n’ai plus cœur à rien. Voici mon Javanais qui me demande deux moedas pour avoir du charbon, et je ne puis les lui donner. »

Cependant il trouva encore un chant funèbre pour dona Maria, fille du roi dom Manoel, princesse belle et savante[1], qui mourut en 1578. Le sonnet quatre-vingt-trois, contient probablement les derniers vers qu’il ait composés. Peut-être perdait-il à la mort de cette dame la dernière de ses protectrices. Bientôt il en fut réduit à vivre d’aumônes. Antonio, le Javanais qu’il avait amené de la Chine, allait la nuit dans les carrefours mendier pour sa nourriture et celle de son maître.

C’est par une exagération qu’il a sans doute crue poétique que le dernier traducteur anglais des Lusiades, M. Mickle, a supposé que Camoens se plaçait sur le pont d’Alcantara, aussi écarté que notre pont d’Austerlitz, pour demander lui-même l’aumône aux passans. En vérité, les malheurs de Camoens n’ont pas besoin qu’on les exagère.

Faria e Sousa raconte qu’une mulâtresse, nommée Barbara

  1. Cette princesse, en de meilleurs temps, avait établi dans son palais une académie de femmes, entre lesquelles brillait la célèbre Aloysia Sigea de Tolède.