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marchande dans les rues de Lisbonne, donnait très souvent à Camoens ou à son Javanais un plat de ce qu’elle vendait et quelquefois un peu d’argent. La seule consolation qu’il eût alors était d’aller le soir au couvent de Saint-Dominique, dont sa demeure était voisine, et de s’entretenir avec quelques religieux, entre autres, avec les pères Foreiro et Luiz de Granada. Il allait aussi souvent dans ce monastère entendre les leçons du professeur de philosophie morale[1]. Si le Poème de la création de l’homme ne lui était pas, comme je pense, faussement attribué, il faudrait en rapporter la composition à cette époque.

Enfin un cruel, un dernier malheur vint le frapper : il vit mourir son Javanais. Alors tout fut terminé : il ne se pouvait plus, dit Pedro de Mariz, que Camoens vécût après la mort de celui-là seul qui le faisait vivre.

Il tomba gravement malade et fut porté à l’hôpital des pauvres.

Conservant cette résignation demi-sardonique que nous lui avons déjà vue, il écrivit de cet asile une lettre dont il nous est parvenu ce fragment : « Qui pourra jamais dire que, sur un aussi étroit théâtre que ce misérable grabat, la fortune se soit plu à représenter d’aussi grandes infortunes ? Et moi, loin d’accuser la cruauté du sort, je me range de son parti contre moi-même ; car il y aurait une sorte d’impudence à vouloir tenir tête à tant de maux. »

Cette lettre, adressée, selon quelques-uns, à dom Francisco d’Almeyda, ou plutôt, comme je le suppose, au comte de Vimioso, dom Francisco de Portugal, ne le trouva pas sans pitié. Camoens sortit du refuge des pauvres. Je n’ignore pas que, suivant une autre tradition très accréditée, Camoens serait mort à l’hôpital même. Plusieurs raisons peuvent permettre d’en douter. La première, c’est qu’il est prouvé que Camoens ne fut pas enterré dans le cimetière de l’hôpital, mais dans un coin de l’église de Santa Anna, sa paroisse ; la seconde, c’est que dom Francisco de Portugal envoya à son logis un drap pour l’ensevelir. Enfin Manoel Correa, énumérant (ch. x, oct. 23) les

  1. Voy. Niceron. Mémoires, t. xxxvii, p. 153.