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LETTRES PHILOSPHIQUES.

blit les besoins réciproques de l’individu et de la société ; il s’attacha à professer que deux faits principaux constituent la civilisation, le développement de la société et le développement de l’individu : il ne trouva pas sans doute la loi destinée à régler ces deux mouvemens, dans une unité harmonique ; il ne posa même pas le problème ; il parla même presque toujours de l’individu comme pouvant plutôt regarder la société faite pour lui que lui pour la société : mais enfin quelque insuffisantes qu’aient été les propositions générales de M. Guizot, si vague que l’on ait pu trouver sa phraséologie, néanmoins on sentait une foi généreuse dans l’avenir et dans la puissance de la pensée.

Quel changement, monsieur, depuis notre dernière révolution ! Cette société au développement de laquelle on se vouait, on la déclare révolutionnaire, insensée, en proie à de petites passions. Si, par un instinct qui sera fécond, la France fait disparaître de sa constitution politique le dernier obstacle à la pratique de l’égalité, on la répute folle ; l’anarchie va croissant autour de nous, s’écrie M. Guizot ; dans les idées, elle est évidente ; pas une conviction générale et forte qui rallie les esprits[1]. Et à qui la faute, s’il vous plaît ? N’est-ce pas votre école qui s’est employée dans ces dernières années à endoctriner cette société anarchique ? Vos théories seraient-elles donc si peu viables qu’elles ont déjà disparu ? quoi ! si peu substantielles, si peu nourrissantes, si médiocres et si faibles, qu’elles ont été sur-le-champ dévorées par cette détestable anarchie de l’intelligence française ? Mais dans les emportemens amers de l’amour-propre blessé, vous ne vous apercevez pas que vous vous condamnez vous-mêmes : consentez à nous faire moins coupables et moins stupides, dans le seul intérêt de vos doctes leçons : autrement pour nous justifier, nous serons réduits à censurer nos maîtres, à récriminer contre votre école, à lui demander, tout en reconnaissant chez elle des intentions honnêtes et des talens convenables, ce qu’elle a fait de positif, de durable, de socialement utile ? Question formidable !

  1. Discours sur l’hérédité de la pairie.