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BRAUNSBERG LE CHARBONNIER.

perçut, il fronça le sourcil, et je dois dire qu’en ce moment sa grimace était si horrible, qu’un autre eût peut-être pris la fuite. Je restai, je bravai le froncement de sourcils de Braunsberg, et je me mis tout d’abord à lui parler de sciences et de l’université de Goetingue. Le pauvre homme ouvrit de grands yeux, il me prit les mains ; il me baisa les mains ; il m’appela son camarade. Il me dit qu’il était sur la voie de la plus belle des découvertes que la chimie eût jamais mise au jour. Il me parla de ses veilles, de ses souffrances, de ses travaux, avec tant d’enthousiasme et de larmes, que je pleurai moi-même comme un enfant. Et vraiment, messieurs, Braunsberg avait une éloquence à lui ; sa foi était si vraie, son dévoûment était si pur, sa parole si expressive, son éloquence avait tant de persuasion, que je serrai Braunsberg entre mes bras. Le pauvre homme fut désolé quand je lui appris que je partais le lendemain. Il me restait à peine vingt ducats ; ma foi, je n’y pus tenir, j’en offris la moitié à Braunsberg. Il pleura de joie en les recevant ; il me força de lui laisser mon nom et mon adresse, et m’assura que ces dix ducats me rapporteraient un jour plus d’intérêts que je ne pouvais l’espérer. Je présumai que Braunsberg qui avait lu l’Écriture, faisait en ce moment une allusion piquante au royaume des cieux où les dons faits aux pauvres doivent être si merveilleusement remboursés. J’y comptai peu cependant, et le lendemain, j’étais avec mes camarades sur la grande route de Goetingue.

Huit mois se passèrent sans que j’entendisse parler de Braunsberg. Je pensai que le pauvre diable était mort dans quelque hôpital de fous. Je le plaignis sincèrement. À cette époque, quelques affaires m’appelèrent à Londres. Un soir comme je rentrais à mon hôtel, je trouvai la porte barrée par un grand valet de pied en livrée magnifique. Remettez cette carte à M. Ulric Vilshofen, dit-il au maître de l’hôtel, et il me coudoya en sortant.

— À coup sûr cet homme se trompe, me dis-je à moi-même. Moi ! pauvre diable d’avocat qui ne connais à Londres pas un homme de distinction. Je pris la carte où était écrit le nom de M. le baron de Neutitschein.