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REVUE DES DEUX MONDES.

Le lendemain j’étais dans l’anti-chambre de M. le baron de Neutitschein. Il y avait foule de visiteurs qui attendaient. Je me disposais à faire comme les autres. Un laquais d’étiquette bondit jusqu’à moi de salutations en salutations, et m’engagea à vouloir bien passer, sans attendre, chez M. le baron, qui, déjà deux fois, s’était informé si je ne lui avais pas fait l’honneur de me présenter chez lui. On me fit traverser une enfilade de magnifiques salons. J’arrivai enfin dans un salon plus étroit, où j’aperçus un petit homme qui paraissait faible et malade, étendu sur une chaise longue. Cet homme toussait obstinément et semblait beaucoup souffrir de la poitrine. Je restai stupéfait en reconnaissant, dans M. le baron de Neutitschein, mon pauvre fou de Spa, Braunsberg le charbonnier.

Le baron jouit quelque temps de ma surprise. Il tourna vers moi un œil fauve, puis il lui reprit de nouveau une toux sèche et violente, puis il soupira douloureusement en regardant un calendrier suspendu à l’un des côtés de sa cheminée.

— Asseyez-vous, M. Vilshofen, et une fois pour toutes, je vous supplie, pas de temps perdu en vains complimens ; pas de paroles inutiles. Nous vivons vite, M. Vilshofen, et le temps que je passe à vous mettre au fait du changement que vous apercevez dans mon existence, c’est du temps qui m’est compté. Mais je vous dois cette confidence, écoutez donc.

Le plus éclatant succès a enfin récompensé mes travaux. Je suis riche, riche à millions. Mais vous le voyez, j’ai perdu ma santé, j’ai perdu ma vie. Je l’ai usée dans les veilles, sur des fourneaux. D’autres l’usent dans les plaisirs. Moi aussi je veux jouir. Riche, il serait cruel de mourir ainsi sans avoir vécu. J’ai consulté tous les médecins de Londres et de Paris. Ils m’ont condamné, M. Vilshofen. J’ai eu beau les payer, leur jeter à la tête des monceaux d’or, ils m’ont condamné ! Je suis atteint d’une phthisie contre laquelle il n’y a pas de remède. Je sais d’avance le nombre de mois, de jours qui me sont donnés. Entouré de soins, de privations, d’ennuis, je puis traîner ma misérable existence, m’ont-ils dit, pendant trois ans à-peu-près. Les malheureux ! autant vaudrait mourir tout de suite. Cepen-