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autour de nous, et la pluie tomba à torrens. L’obscurité était telle, qu’on ne distinguait rien clairement à la distance de quelques toises ; en un moment nous fûmes percés jusqu’aux os, et notre canot menaçait de sombrer, lorsque nous nous trouvâmes en face d’un petit village de pêcheurs situé sur une île à fleur d’eau. Sautant à terre aussi vite que possible, nous courûmes, sans souliers, sans chapeau, dans la première cabane qui s’offrit ; notre invasion inattendue effraya une pauvre femme, qui se sauva en nous voyant entrer. Jetant nos habits trempés, ôtant la marmite de poisson qui cuisait sur des cendres chaudes, nous nous pressâmes d’entasser sur ce reste de feu tout le bois sec que nous pûmes découvrir. Alors seulement nous nous sommes aperçus que nous n’avions pas beaucoup à nous applaudir de notre asile : à moitié habillés, nous nous élançâmes dehors afin d’atteindre une autre case que nous avions entrevue à peu de distance ; mais il n’y avait rien à gagner, l’une valait l’autre, et nous précipitant de nouveau à travers les torrens de pluie, nous sommes retournés à notre premier gîte, décidés à en subir tous les inconvéniens ; peu après, nos gens, trempés, glacés de froid, sont venus nous rejoindre ; il y avait quelque chose de si plaisant dans leurs haillons pendans, leurs mines contristées, que malgré leur détresse et la nôtre, nous sommes partis d’éclats de rire en les apercevant. Pendant ce temps, notre hôtesse et son mari, accompagnés de quelques villageois, ont repris assez de résolution pour nous rendre visite, et ils ont apporté du bois et quelques provisions, ce qui nous a permis d’allumer deux grands feux ; la tempête s’apaisait, le terrein s’est assez vite séché, mais il nous a fallu dormir dans nos vêtemens mouillés. Mon frère et moi avons veillé la plus grande partie de la nuit : il était impossible de dormir, non-seulement à cause des myriades de mosquites, mais à cause aussi des soupirs et des ronflemens de nos hommes, des aboiemens et des hurlemens des chiens, du bruit d’un enragé tambour qui battait sans relâche dans le village adjacent, et des rugissemens effrayans d’un lion qui a rôdé autour de nous presque jusqu’au jour.

(Samedi, 26 juin). Une soirée fraîche et une nuit sereine avaient succédé à la tempête d’hier. Ce matin, en quittant le village, nous avons été suivis par quelques habitans ; et, quand, à sept heures, le canot a été poussé au large, ils nous ont salués d’un bruyant cri d’adieu. Ces gens sont inoffensifs et bons, mais sales sur leurs personnes ; et leurs usages sont bizarres ; leur langage diffère de celui de Boussa.

L’île où nous avions couché la nuit dernière était à peine dépassée, et nous venions d’entrer dans la grande branche du fleuve, quand nous le vîmes de nouveau divisé en canaux étroits par des terres basses couvertes de hautes herbes marécageuses, et tout son cours était obstrué de bancs de sable et de rocs dangereux, dont l’aspect était tout-à-fait décourageant. Nous prîmes le courant le plus large ; mais bientôt il nous fallut descendre à terre, pour alléger le canot, qu’après de grands efforts on parvint à faire passer par-dessus un barrage de rochers et à remettre à flot. De fait, pendant la plus grande partie de la matinée, notre canot a continuellement heurté contre des rocs et des bancs de sable cachés sous les eaux, mais sans qu’il en résultât de dommage