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VOYAGE DES FRÈRES LANDER.

large d’abord d’un demi mille, allait s’agrandissant graduellement de plus de moitié ; de beaux arbres à touffus ombrages, à formes pyramidales, paraient les deux rives, leur donnant l’aspect d’un immense parc ; des blés presque mûrs ondoyaient sur le bord des eaux. De demi-heure en demi-heure apparaissaient de longs villages ouverts ; des troupeaux de bétail tachetés paissaient et se reposaient à la fraîcheur de l’ombre. Pendant plusieurs milles, l’aspect du fleuve n’était pas moins enchanteur que celui de ses bords, uni comme un lac ; il portait d’innombrables canots chargés de moutons et de chèvres, et dirigés par des femmes qui, avec leurs longues pagaies, aidaient au mouvement d’un courant presque imperceptible ; d’agiles hirondelles et nombre d’oiseaux aquatiques divers se jouaient sur la surface polie et brillante, où se miraient quantité de jolies petites îles.

La chaleur nous incommoda beaucoup jusqu’aux approches du soir ; de grands bancs de sable, et des bas-fonds nombreux, attirèrent alors notre attention. Un peu après huit heures, nous abordâmes sur la rive orientale, près d’un petit village : notre tente fut dressée sur un terrein où le blé sortait de terre, et n’ayant rien à manger, il fallut nous coucher sans souper.

(Vendredi, 25 juin). Une chaîne de montagnes à l’est, escarpées et romantiques, a frappé nos yeux à notre réveil. Cette chaîne prend le nom d’Engarskie du pays où elle est située. Autrefois royaume indépendant, cette contrée n’est plus maintenant qu’une province d’Yaourie. Un peu avant sept heures, on dégagea le canot de la plage sablonneuse sur laquelle on l’avait amarré pour la nuit, et il fut poussé dans un étroit canal, entre la rive et un large banc de sable ; ce détroit nous conduisit dans le grand courant du Niger, et nous pûmes jouir encore de son ravissant aspect.

Nous n’avions pas parcouru plus de quelques centaines de toises, quand la rivière commença à s’élargir graduellement, et aussi loin que notre vue pouvait atteindre : il y avait plus de deux milles de distance d’un bord à l’autre : c’était tout-à-fait comme un vaste canal artificiel, les bords à pic encaissant les eaux comme de petites murailles, au-delà desquelles se montrait la végétation. L’eau, très basse dans quelques endroits, dans d’autres était assez profonde pour porter une frégate. On ne peut rien imaginer de plus pittoresque que les sites que nous avons parcourus pendant les deux premières heures ; les deux rives étaient littéralement couvertes de hameaux et de villages ; des arbres immenses pliaient sous le poids de feuillages touffus dont la sombre couleur, reposant les yeux de l’éclat des rayons du soleil, contrastait avec la chatoyante verdure des collines et des plaines. Mais tout-à-coup ce fut un changement de scène complet ; à cette rive unie de terreau, d’argile et de sable, succédèrent des rochers noirs, rugueux, et ce large miroir qui réfléchissait les cieux, fut divisé en mille petits canaux par d’immenses bancs de sable.

Vers onze heures, d’épaisses nuées accourant de l’ouest prédisaient un prochain orage ; nos bateliers firent tous leurs efforts pour atteindre un village ou quelque abri, avant que la tempête fondît sur nous ; mais leurs peines furent perdues : en peu de minutes, un ouragan mêlé de tonnerre et d’éclairs tourbillonna