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LETTRE DE M. LE BARON DE MONTBEL.

rai avec franchise si votre état est devenu plus grave, ou s’il s’est amélioré.

Les poudres suspendirent les évacuations, la sueur devint plus abondante ; et à son retour, le lendemain, le médecin trouva un mieux bien marqué. Je continuai l’usage des mêmes remèdes. Après vingt-quatre heures, le cours des urines commença à se rétablir, et les accidens gastriques tendirent à s’affaiblir. Je me levai pour écrire à ma famille, et la rassurer sur mon état, en l’en instruisant moi-même.

Mais si l’attaque du choléra avait pris fin, ses conséquences étaient loin de toucher à leur terme. Mon visage était renversé, rétréci, méconnaissable, mes yeux éteints, ainsi que ma voix, dont le timbre était complètement changé. Une faiblesse extrême m’empêchait d’agir, de lire, de parler, d’écouter ; les alimens m’étaient désagréables. Ma langue et mon palais étaient d’un jaune brun, mes lèvres étaient noircies. Mes dents, dont je n’avais jamais souffert auparavant me semblaient toutes ébranlées et m’occasionnaient de vives douleurs. J’étais tourmenté d’une soif continuelle. Mes nerfs surtout étaient dans une excessive irritation, j’éprouvais des crispations dans tous les membres, des douleurs dans toutes les articulations ; une crampe continue à l’articulation du fémur avec la hanche me rendait le lit insupportable, et ne se calmait que lorsque, par des mouvemens long-temps répétés, et par l’emploi des boissons chaudes, je parvenais à établir une transpiration abondante. Je sentais habituellement une saveur styptique, comme si j’avais eu dans la bouche un morceau de fer.

Évitant avec soin tous les remèdes qui auraient pu provoquer de nouveau le dévoiement, le médecin se contenta de me faire prendre des amers pour rétablir mon estomac, qui, à la suite du choléra, avait été atteint d’un dérangement bilieux. Il me donna aussi quelques antispasmodiques, pour calmer l’irritation de mes nerfs.

Cet état pénible se prolongea pendant plusieurs semaines. Je dépérissais sensiblement. Peu-à-peu, cependant, les fonctions digestives se rétablirent, les douleurs disparurent graduellement. Par un exercice modéré, je repris quelques forces, mais j’étais dans une sorte d’oscillation nerveuse. Tantôt une extrême irritation crispait tout mon être, tantôt j’étais atteint d’une sorte d’atonie générale.

La perturbation la plus sensible et la plus prolongée a été celle du sommeil. Pendant un mois environ, je n’ai pas dormi un seul instant. Les mois suivans, je dormais d’un sommeil troublé, interrompu depuis minuit jusqu’à trois heures. Alors je m’éveillais sans pouvoir me rendormir. À l’époque du solstice d’hiver, cet état a cessé, j’ai retrouvé le sommeil, les forces et la santé. Deux personnes de ma connaissance atteintes en même temps que moi, mais plus légèrement, ont éprouvé les mêmes symptômes : comme moi, elles étaient régulièrement réveillées à trois heures du matin ; comme moi, elles ont été soulagées à l’époque du solstice. Quoique je sois rétabli, mes nerfs sont encore dans un état d’irritation qui ne me permet aucune application, aucun travail prolongé.

Chez moi, les phénomènes gastriques ont été faibles, les phénomènes ner-