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veux, au contraire, ont été violens. J’attribue cette différence et à ma constitution, et aux circonstances où je me trouvais. Je suis naturellement doué d’une bonne santé. Les seules incommodités que j’aie éprouvées avant ma maladie, tenaient à l’irritabilité de mes nerfs. Cette disposition était alors aggravée, sans doute, par des peines morales, tandis que mes habitudes de sobriété étaient devenues plus sévères encore dans ma solitude.

Quant à l’origine du mal, je ne puis l’attribuer à aucune imprudence de ma part. J’avais dormi paisiblement dans la nuit du 13 au 14, je m’étais levé bien portant ; j’ai été atteint subitement d’un mal dont les symptômes rapides offraient les caractères d’un empoisonnement, immédiatement après avoir pris une tasse de café, préparé par la femme qui venait de soigner la maîtresse de l’appartement que j’occupe. Cette femme a été atteinte elle-même quarante-huit heures après bien plus grièvement, et après un mois de souffrance, elle est morte d’une affection typhoïde. Ainsi, dans un même appartement, sur quatre personnes vivant d’une manière paisible et très réglée, trois ont été atteintes ; une seule a été préservée, quoique continuellement en contact avec les trois autres.

L’invasion du choléra à Vienne a eu des caractères remarquables : franchissant les cordons sanitaires et des espaces considérables qu’il a respectés, il s’est montré par des cas isolés dès le commencement d’août. À la suite d’une violente pluie et d’un refroidissement subit de l’atmosphère, il a éclaté le 14 septembre dans l’enceinte de la ville, seulement dans quelques parties, et dans quelques maisons du quartier le plus élevé, le plus aéré, et l’un des plus opulens ; les personnes attaquées étaient toutes dans l’aisance, et appartenaient, pour la plupart, aux classes supérieures de la société.

Le mal, dans les premiers momens, a frappé un grand nombre de victimes. Peu ont résisté à ses attaques. Tous les remèdes ont semblé d’abord sans efficacité. Graduellement, ses atteintes sont devenues moins nombreuses et ont pris un caractère moins grave. Ces mêmes circonstances ont marqué son passage dans les faubourgs.

Tandis que le fléau venait éclater dans l’enceinte de la ville et dans un des quartiers les plus sains, il franchissait et a respecté depuis le faubourg de Leopoldstadt, situé dans une des îles du Danube, souvent submergé dans les inondations, sans cesse exposé aux brouillards, à tous les inconvéniens, à toute l’insalubrité de sa position dans le lit du fleuve. Le mal a régné dans des places, dans des rues spacieuses, dans de vastes et belles maisons de la ville, et il n’a pas exercé ses ravages dans des rues étroites, tortueuses, dans des habitations où sont entassés pêle mêle des ouvriers, des familles pauvres, plus exposées aux alternatives de l’intempérance et des privations de tout genre. Dans la maison d’un confiseur, assez voisine de celle que j’habite, quinze individus ont été atteints à la fois, dans la nuit du 13 au 14 ; cinq ont succombé rapidement. Trois personnes bien connues avaient passé ensemble la soirée du 13, elles se séparèrent pour ne plus se revoir, toutes trois furent attaquées dans la nuit, le lendemain elles n’existaient plus. Des faits multipliés tendent à prouver que le mal agit par contagion, mais seulement sur des individus prédisposés.