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LOUVEL.

ment un homme peut vivre sans honneur et sans vertu, je ne conçois point la vie sans ces sentimens-là. Aussi je plains sincèrement ces voleurs que nous entendons crier dans le préau. Quel fléau pour la société ! Les malheureux ne connaissent pas le bonheur de se suffire à soi-même par un travail honnête. Pour moi, depuis seize ans, je puis dire que je n’ai jamais reçu de l’argent de personne sans que je ne l’eusse bien gagné, et je souhaiterais que tous ces pauvres diables en pussent dire autant. »

Un jour, le préau était en grande agitation. Jamais un bruit aussi extraordinaire ne s’y était fait entendre : ce n’étaient pas des cris comme parfois les détenus en poussaient ; ce n’était pas le tumulte habituel. Il y avait dans la rumeur quelque chose de sombre et de sinistre à glacer d’effroi ; cependant, au milieu des paroles confuses qui partaient de cent bouches à-la-fois, Louvel comprit qu’il s’agissait pour ce jour-là d’une exécution à mort : c’était un jeune domestique qui avait assassiné son maître, et qu’on avait ramené de Bicêtre à la Conciergerie. En le voyant partir pour la fatale charrette, les détenus du préau lui témoignaient à leur manière les sentimens de pitié dont ils étaient touchés. « Dans une demi-heure, tout sera fini, disaient-ils. — Oh ! que n’est-ce moi ! dit Louvel ; j’en serais quitte enfin. Il y a si long-temps que je suis dans ce cachot et si inutilement. Plus l’on attendra, moins ma mort produira d’effet. Qu’on se hâte donc. Ce serait de l’argent de plus pour le gouvernement, et de la peine de moins pour vous, messieurs, qui me gardez tour-à-tour ; puis, tous les innocens que l’on a arrêtés ! on ne leur rendra la liberté qu’après ma mort, et il leur doit sembler, comme à moi, qu’elle se fait bien attendre. Je crois cependant qu’on me transférera dans peu de jours au Luxembourg ; car mes interrogatoires sont bientôt finis, et mes juges ne doivent plus rien espérer savoir de moi. » En disant ces mots, il appuya la tête dans ses mains, et, fixant les yeux à terre, il resta long-temps immobile et silencieux, laissant échapper de loin en loin des sanglots, et même couler des larmes ; cependant son esprit parut se calmer peu-à-peu. Ses