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ment. Sans nul doute, dans d’autres circonstances, après un succès paisible et incontesté, MM. Pyat et Theo auraient repris dans une autre comédie plus pleine et plus largement dessinée, la peinture satirique du monde romain, tel que nous le retrouvons dans quelques pages d’Horace. La tâche est belle et ne promet pas de s’épuiser sitôt. Si nos vœux et nos encouragemens peuvent ranimer la verve, qu’un premier échec a pu refroidir un instant, nous invitons publiquement MM. Pyat et Theo à continuer ce qu’ils ont commencé. — Et qu’ils se rassurent sur la pruderie guindée de la critique, sur le pédantisme gourmé des jugeurs jurés : dût l’aristarque officiel, qui les a tancés une première fois, feuilleter de nouveau le catalogue de trois ou quatre bibliothèques, pour leur prouver qu’ils ont oublié une anecdote dans la vie d’un tribun, ou qu’ils ont eu tort de choisir, parmi les turpitudes d’une majesté impériale, les traits les moins effrontés, le public saura toujours bien les remercier de leur réserve, et absoudre les condamnés.


Le choléra-morbus à bord d’une frégate des États-unis, le Congrès dans la mer du sud.[1] — Je m’empresse, conformément à votre désir, de vous envoyer un compte succinct des ravages qu’a exercé le choléra spasmodique à bord de la frégate des États-Unis le Congrès, en 1820. Mon journal médical ayant été égaré par un ami à qui je l’avais prêté à mon retour, je me vois forcé de vous écrire de mémoire.

Au mois de novembre 1820, le Congrès appareilla de l’embouchure de la rivière de Canton pour Manille. L’année d’avant, nous avions perdu dans ces parages beaucoup de monde de la dyssenterie des tropiques, mais aucun cas de choléra ne s’était manifesté à notre bord. Ce fléau avait, dans l’intervalle, éclaté à Manille, et quand nous y arrivâmes, il y régnait depuis deux mois avec une violence extrême.

Les naturels, qui formaient la majeure partie de la population, furent les plus maltraités par l’épidémie. Ce fut à tel point qu’ils accusèrent les résidans étrangers d’avoir empoisonné l’air et l’eau pour les faire périr, et s’emparer ainsi de leur pays. Dix à quinze mille indigènes avaient succombé dans l’espace de deux mois. Tout le monde se rappelle le cruel massacre des étrangers qui y eut lieu à cette époque. Le Congrès jeta l’ancre le 30 novembre, à la distance de trois ou quatre milles de la ville, et durant notre séjour dans cet ancrage le vent souffla continuellement de terre. Des officiers et des marins se rendaient journellement à Manille, où personne ne croyait à la contagion. Les naturels, dans leur rage contre les Européens, en avaient pris plusieurs de bien portans, et les avaient tenus durant des heures entières renfermés, avec les mourans pour leur donner le mal, convaincus qu’ils étaient, qu’en le leur communiquant, ceux-ci en guériraient. Toutefois aucun d’eux ne le gagna. Ce résultat et beaucoup d’autres que je pourrais citer tendant à prouver que le choléra n’est pas contagieux.

Son apparition à Manille avait été précédée d’un vent frais, qui avait occa-

  1. lettre du docteur Edwards, chirurgien du Congrès, en date du 20 février 1832.