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la sagesse antique des nations scandinaves : c’est un précieux dépôt de cette morale traditionnelle que recueille l’expérience naissante des âges primitifs, que les siècles suivans se transmettent, qui plus tard se conserve si long-temps, et voyage si loin sous la forme vivace et populaire du proverbe : à côté sont les enseignemens de la magie, de cette science des Runes qu’on pourrait appeler la cabale du nord.

Un autre poème de l’Edda (le chant de Rig) contient, sous l’enveloppe d’un mythe symbolique, l’histoire de l’origine de la société scandinave, et y montre la naissance des ordres dans ce qui fut ailleurs celle des castes dans la distinction des races.

Je néglige d’indiquer plusieurs portions curieuses de l’Edda, entre autres ce singulier Chant du soleil, le seul morceau chrétien qu’elle renferme ; ce récit du monde invisible que Semund prononça, dit-on, réveillé pour un moment du sommeil de la mort ; où les dogmes les plus menaçans du catholicisme font avec les mythes odiniques une étrange alliance ; où l’on voit un Islandais du onzième siècle, inspiré peut-être par ces peintures lugubres des supplices éternels qui dès-lors hantaient les imaginations méridionales, les rembrunir encore des noires couleurs de son ciel et du sanglant reflet des traditions, et empruntant aux deux religions leurs terreurs, créer un enfer où se mêle à des souvenirs de la Voluspa un pressentiment du Dante.

J’arrive à la partie peut-être la plus intéressante de l’Edda ; à sa partie héroïque.

Tous les poèmes qui la composent, à l’exception d’un seul, se rapportent à un vaste ensemble de faits concernant tous l’histoire d’une famille, celle des Volsungs, et principalement la destinée d’un guerrier nommé Sigurd.

Sigurd est le héros du nord. Une grande gloire, une fin triste et prompte, c’est là sa destinée, c’est aussi celle d’Achille ; et il est remarquable que dans la Scandinavie comme dans la Grèce, une même pensée mélancolique se soit associée à celle de la vaillance et de la gloire ; que chez les deux peuples, le héros par excellence périsse dans l’éclat de la jeunesse et du triomphe. L’idéal de la vie humaine leur a semblé de même une carrière