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UNE JEUNE POÈTE ANGLAISE.

leur donner ; mais ma mère pensait, je suppose, que comme elle donnait toutes les autres choses, elle pouvait encore donner celle-là par-dessus le marché.

« Je passe rapidement sur la dynastie des fourreaux blancs et des ceintures bleues. Tantôt j’apprenais mes leçons, tantôt je ne les apprenais pas. Mais, dans le fait, ce qui n’était pas affaire de nécessité devint souvent affaire d’inclination. C’est ainsi que j’arrivai à la dignité de quatorze ans, et de confidente de ma sœur. — Oh ! quel intérêt je prenais à ses anxiétés ! quelle sympathie je ressentais pour ses chagrins ! c’était presque la même chose que d’avoir un amant à moi : il y avait dans cette alliance un bonheur à impatienter ; les deux familles la desiraient également, seulement mon père insistait pour que le mariage ne se fît que lorsque Isabelle aurait dix-huit ans accomplis. Cependant les amans trouvaient moyen de se ménager quelques petites querelles ou jalousies, qui diversifiaient agréablement ce délai. — L’année d’épreuve passée, ma sœur se maria. Même aujourd’hui je me rappelle combien elle me manqua alors. Je pleurai les trois premiers soirs où je me vis obligée de mettre moi-même mes papillotes. Cependant septembre arriva, et avec lui mon second frère. Son compagnon pour la saison de la chasse était le jeune, le beau, le vif Henry O’Byrne, descendu de rois dont la couronne était assez vieille pour avoir été faite de l’or d’Ophir. Moi qui considérais un amant comme la conséquence naturelle de mes quinze ans, qui même me serais volontiers étonnée de n’en avoir pas un déjà, convaincue qu’une demi-douzaine de rougeurs était la preuve assurée de mes sentimens, je perdis mon cœur avec toute la facilité imaginable, et Henry me parla d’amour parce qu’il pensait, je le crois véritablement, que c’était une politesse convenable, et à laquelle devait s’attendre toute femme au-dessous de cinquante ans. Une déclaration d’amour était pour moi l’équivalent d’une proposition de mariage, quoique, pour dire toute la vérité, je doute qu’elle fût entendue dans ce sens par mon amant milésien. Mon père, je ne sais vraiment comment il osa prendre cette liberté, mon père, s’avisa de dire un jour qu’il désirait que je ne me prome-