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DE L’ART EN ALLEMAGNE.


mais une verve poudreuse, effarée, éperdue, qui court plus vite qu’un cheval de bataille, qui, elle aussi, fouille de son pied la vieille glèbe de l’Allemagne, qui vomit le feu de ses naseaux sur l’herbe de Lutzen, qui hennit avec la trompette, qui a la voix argentine d’une baguette de fer dans un fusil de Tyrolien. Ô le bel art haletant ! le noble art écumant, piétinant ; que nous veut-il ? les chants d’Arndt, gorgés de poudre ! les joyeuses ballades qui flamboient dans la mitraille ; les iambes intrépides qui se dressent debout, tout en feu, à la gueule des canons ; tout le génie de ces jours-là : les balles enchantées qui sifflent comme des esprits dans l’air ; les sabres qui sourient au soleil comme l’écharpe d’une fée du Hartz ; les banderolles des lances, les poitrails des chevaux, comme un flot noir du Danube, qui porte sur son dos son cavalier, son panache et ses harnais d’écumes ; la rosée terrible du soleil de Leipsick ! Qui dira désormais que la réalité manque à cette poésie ? Au contraire, elle en est plutôt affolée et enivrée : elle a bu du meilleur de notre sang. C’est un autre vertige. Elle est si bien à la solde des événemens, qu’elle est elle-même un clairon dans la mêlée. Elle est tout feu, tout sang, tout bruit, tout action, tout héroïsme ; et la balle qui frappe Koerner au front, à l’heure où il finit le Chant du glaive, achève de donner à l’art, par cet endroit, son baptême de feu.

Uhland est le Béranger de l’Allemagne[1]. Quoiqu’il touche encore à l’époque que nous venons de franchir, son inspiration a déjà changé de caractère. Il est venu, lui, le soir de la bataille des géans. Les bruits sont déjà amortis, l’herbe est déjà séchée, l’épée est déjà essuyée, la lutte est déjà achevée. Il apporte sa foi de pèlerin pour la prière avant la fin du jour. Naïf et re-

    pour jamais. Voyez son livre de la Nationalité, traduit par Lortet, ouvrage fort curieux et pas assez connu.

  1. Ulhand a publié un volume de poésies lyriques. Depuis la guerre de l’indépendance, il n’a pas cessé de rappeler aux rois du nord leurs promesses libérales, il a saisi l’occasion de chaque événement politique, pour en composer son chant national. Depuis quelques années, il a quitté la poésie pour la critique, et l’on attend avec impatience de lui une histoire littéraire de l’Allemagne.