Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/511

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
505
DE L’ART EN ALLEMAGNE.

chemin faisant de la mantille et de l’épée de son siècle écourté. Tout bardés des temps gothiques, ils eussent fait horreur à un carbonaro du midi ; et pourtant, sous cela, on sentait un instinct profond du pays. Pour se venger en un coup de sa longue défaite depuis la réforme, l’Allemagne était obligée de remonter jusqu’à son moyen âge. C’est là, dans la pompe de son empire écroulé qu’elle s’encourageait au sentiment renaissant de son unité, et que son ambition d’aujourd’hui allait chercher de quoi s’exalter et se rassurer. Elle réveillait, après mille ans, ses vieux Othon dans leurs caveaux aussi vite que nous, notre mort à Sainte-Hélène. Elle mettait de l’érudition dans son complot, de l’archéologie dans son émeute, et à son patriotisme savant il n’en coûtait pas plus de déterrer en secret les aigles de Charlemagne, et de faire de la sédition avec le treizième siècle, qu’à nous, après quelques années, d’avoir souvenance du soldat de l’an xii, et de garder sous nos chevets le drapeau de la république.

Me voici arrivé au moment de prononcer un nom bien peu connu de ce côté du Rhin et si plein pourtant de génie et de toutes les sortes d’audace, que ce n’est pas un faible effort que d’en parler sans passion. Celui-là a reçu évidemment une force herculéenne et une puissance titanique. La nature l’a armé dans son temps pour un duel corps à corps avec son propre pays. C’est lui qui a reçu mission de jeter pour jamais dans l’arène cette masse inerte de l’Allemagne, et de démuseler le monstre. Il l’enchante, il le séduit, il le blesse, il l’aiguillonne, il le désespère, il le terrasse, il le foule aux pieds, il s’en fait haïr, il s’en fait dévorer ; c’est le tauréador qui va chercher dans son bois le buffle germanique. Il l’amène tout saignant à la lice de l’Europe, il le harcèle, il se met à sa merci, il en meurt ; mais le taureau, une fois déchaîné, n’ira plus ruminer sous son frêne la vieille glèbe du passé. Dites ce que Goërres[1] n’est pas :

  1. Les principaux ouvrages de Goërres sont : l’Histoire des mythes de l’Asie ; la traduction en prose de Schanameh de Ferdoussi, laquelle est précédée d’une introduction, qui est elle-même un monument ; les Livres populaires de l’Al-