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braves gens, en connivence avec les soldats de la garnison, faisaient vraiment d’excellentes affaires.

Ces abus multipliés avaient éveillé la vigilance du capitaine-général : il consulta là-dessus une sorte de greffier ou de notaire, aigrefin consommé, son factotum et son conseil légal. Celui-ci fut ravi qu’on lui fournît une occasion de tourmenter le vieux potentat de l’Alhambra, et de l’envelopper dans le réseau des subtilités contentieuses. Il poussa le capitaine-général à insister fortement sur le droit qu’il avait de faire visiter toute espèce de convoi introduit par les portes de la ville, et il écrivit au gouverneur une longue lettre dans laquelle il revendiquait ce droit au nom de son client.

Le gouverneur Manco, vieux soldat droit et loyal, d’ailleurs de l’espèce la moins maniable, avait plus d’aversion pour un greffier que pour le diable, et il détestait surtout celui-ci plus que tous les autres greffiers du monde.

— Bah ! s’écria-t-il, retroussant ses moustaches d’un air féroce. Voici le capitaine-général qui charge son homme de plume de m’entourer de trames et de piéges ? Eh bien ! je lui ferai voir qu’un vieux soldat ne se laisse point prendre à des ruses d’école.

Il saisit une plume et griffonna une lettre fort courte et fort peu lisible, dans laquelle, sans daigner entrer dans la moindre discussion, il insistait sur le maintien de son droit de transit, franc de toute visite, et menaçait de sa vengeance le premier officier de la douane qui porterait une main profane sur un convoi quelconque, protégé par le drapeau de l’Alhambra.

Tandis que cette question s’agitait entre les deux potentats, une mule, chargée de provisions pour la forteresse, parut un jour à la porte de Xenil, ayant à traverser un faubourg de la ville, pour arriver à l’Alhambra. Le convoi était conduit par un vieux caporal bourru, qui avait long-temps servi sous le gouverneur : c’était un homme selon le cœur du commandant, un soldat aussi rouillé, aussi solide qu’une ancienne lame de Tolède. Comme le convoi approchait de la porte de la ville, le caporal plaça la bannière de l’Alhambra sur le bât de la mule, et se dressant de manière à ce que tout son corps formât une ligne