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qu’il eut connaissance de cette insulte faite à son drapeau, ainsi que de l’arrestation du caporal. D’abord il tempêta dans les salles moresques, il jeta feu et flammes sur les bastions, et lança des regards flamboyans sur le palais du capitaine-général. Ayant ainsi exhalé les premiers bouillonnemens de sa fureur, il dépêcha vers la capitainerie-générale un message par lequel il demandait que le caporal fût remis entre ses mains, sous le motif qu’à lui seul appartenait le droit de juger les délits de ceux qui se trouvaient sous son commandement. Le capitaine-général, aidé de la plume de son greffier chéri, répondit à cette dépêche avec de grands développemens. Il prétendait que, le crime ayant été commis dans les murs mêmes de la ville et sur la personne d’un de ses officiers civils, l’accusé devait évidemment rester soumis à sa juridiction. Le gouverneur répondit, en renouvelant purement et simplement sa demande. Le capitaine-général de son côté fit une réplique plus légalement affilée et plus développée encore que la première. Le gouverneur se montra plus vif et plus péremptoire dans ses réclamations, le capitaine-général plus abondant et plus calme dans ses réponses, jusqu’à ce que le vieux soldat, au cœur de lion, finit véritablement par rugir avec fureur de se voir à ce point embarrassé dans les mailles d’une controverse légale.

Cependant le subtil greffier, tout en s’amusant ainsi aux dépens du gouverneur, ne laissait pas de faire marcher le procès du caporal, qui, cloîtré dans un étroit cachot de la prison, n’avait qu’une pauvre petite fenêtre grillée, pour montrer son imperturbable visage et recevoir les consolations de ses amis.

En peu de temps l’infatigable greffier eut entassé, selon l’usage espagnol, toute une montagne de témoignages écrits, et le pauvre caporal fut complètement accablé sous elle.

Ce fut en vain que le gouverneur fit pleuvoir de l’Alhambra les menaces et les remontrances. Le jour fatal approchait, et le caporal fut mis in capilla, c’est-à-dire dans la chapelle de la prison, ainsi que cela se pratique à l’égard des condamnés, deux jours avant l’exécution, afin qu’ils puissent méditer sur leur fin prochaine, et se repentir de leurs péchés.

Le vieux gouverneur, voyant le dénoûment approcher, se