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ne sait jusqu’où, dans la montagne. — Cette ouverture a, d’ailleurs, depuis lors jusqu’à ce jour, passé pour l’entrée du palais souterrain de Boabdil.

Insensiblement le soldat devint populaire parmi les petites gens. Le maraudeur des montagnes n’est, d’ailleurs, rien moins que frappé d’opprobre en Espagne, ainsi que le voleur dans tous les autres pays : c’est, au contraire, aux yeux du bas peuple une sorte de personnage chevaleresque. Il existe aussi toujours et partout une certaine disposition à censurer ceux qui gouvernent. On commença donc bientôt à murmurer contre les mesures arbitraires du vieux gouverneur Manco, et à considérer le prisonnier comme une espèce de martyr.

Il est vrai que le soldat était un joyeux et plaisant compère, ayant toujours à sa disposition quelque bon mot pour quiconque s’approchait de sa fenêtre, quelque galanterie pour chaque femme qu’il apercevait. Il avait trouvé aussi moyen de se procurer une vieille guitare, de sorte qu’assis à sa croisée, il chantait des ballades et des seguidillas, à l’inexprimable satisfaction des filles du voisinage qui se rassemblaient le soir sur la petite esplanade, et dansaient des boléros aux sons de sa musique. Sa barbe grise avait disparu sous le rasoir, et son visage brûlé du soleil trouvait faveur auprès du beau sexe. La timide demoiselle de compagnie du gouverneur en vint même jusqu’à déclarer que ce regard louche du soldat était tout-à-fait irrésistible. Cette fille, dont le cœur était excellent, avait d’abord manifesté la plus vive sympathie pour l’étranger, et s’était profondément intéressée à son sort. Mais ayant fait de vains efforts en sollicitant la clémence du rigoureux gouverneur, elle avait pris sur elle d’adoucir au moins la sévérité des prescriptions auxquelles il soumettait le prisonnier. Chaque jour elle apportait à ce dernier quelque confortable morceau tombé de la table du gouverneur, ou emprunté à son garde-manger. Elle y ajoutait de temps à autre une consolante bouteille d’un Val de peñas de choix, ou de vieux Malaga.

Tandis que cette petite trahison se poursuivait au centre même de la citadelle du vieux gouverneur, un autre orage s’ap-