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soin de son temps, et exprimer les sentimens du peuple auquel il s’adresse. Si la censure refuse les choses évidentes, il faut qu’on y trouve des intentions, des allusions délicates ; il faut qu’on puisse deviner un sens caché. Tout cela est dans Manzoni. Son roman enseigne la résignation, l’abnégation de soi-même : il dit à l’Italien opprimé par l’étranger : « Ne crains rien ; Dieu est là pour anéantir les tyrans. » Mais ces élémens de succès n’étaient pas applicables à la France. Ce qu’un traducteur de talent aurait pu faire passer en français, c’étaient les beautés du style, la pureté virginale des sentimens ; mais bon Dieu !… Supposons pour un moment qu’un Italien, en traduisant la Nouvelle Héloïse ou les Martyrs, se fût avisé de dire que le mérite principal de Rousseau ou de Chateaubriand consistait dans le bonheur avec lequel ces écrivains avaient su se servir de tous les dialectes français, et que dans leurs ouvrages il y avait une page en parisien, et dix pages en bas-breton ! croit-on qu’un tel traducteur aurait beaucoup contribué au succès de ces romans ? Eh bien ! c’est ce qu’a fait à-peu-près le traducteur des Promessi Sposi, M. Rey-Dusseuil, dans une préface où il parle de la littérature italienne, et de peur qu’on n’en doute, nous rapporterons ici textuellement ses paroles. « M. Manzoni, dit-il, prend les idiotismes dans tous les dialectes ; il fait quelquefois une page de pur toscan, quelquefois dix pages entières de lombard, et quoique le fond de son style soit milanais, il n’a pas de style à lui, etc. » Quand on traduit un ouvrage, il nous semble qu’il n’y aurait pas grand mal à savoir au moins le nom de la langue dans laquelle il a été écrit. Heureusement que les tragédies de Manzoni ont trouvé un plus digne interprète dans M. Fauriel, si connu pour ses Chants populaires de la Grèce : M. Fauriel, auquel Manzoni avait dédié le Carmagnola, a contribué à la gloire de son ami par la belle traduction qu’il a donnée de ses ouvrages dramatiques.

Quelques personnes ont supposé que Manzoni avait voulu désigner le pape comme chef futur de la régénération italienne, et que c’est là la dernière pensée de son roman : nous croyons, nous, qu’il n’a fait qu’écrire ce qu’il avait dans le cœur, et se