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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

La chambre était éclairée par un jour blafard et triste. Elle donnait sur la cour, et de grands rideaux d’un vert sombre en atténuaient encore la lumière, en assourdissaient l’air, en épaississaient les murailles. Le reflet du mur de la cour, frappé de soleil, éclairait seul cette grande chambre. Sur un fauteuil de cuir vert, devant un grand bureau d’acajou, mon second malade de la journée était assis, tenant un journal anglais d’une main, de l’autre faisant fondre le sucre dans une tasse de camomille, avec une petite cuiller d’argent.

Vous pouvez très bien vous représenter Robespierre. On voit beaucoup d’hommes de bureau qui lui ressemblent, et aucun grand caractère de visage n’apportait l’émotion avec sa présence. Il avait trente-cinq ans, la figure écrasée entre le front et le menton, comme si deux mains eussent voulu les rapprocher de force au-dessus du nez. Ce visage était d’une pâleur de papier, mate et comme plâtrée. La grêle de la petite vérole y était profondément empreinte. Le sang ni la bile n’y circulaient. Ses yeux petits, mornes, éteints, ne regardaient jamais en face, et un clignotement perpétuel et déplaisant les rapetissait encore, quand par hasard ses lunettes vertes ne les cachaient pas entièrement. Sa bouche était contractée convulsivement par une sorte de grimace souriante, pincée et ridée, qui le fit comparer par Mirabeau à un chat qui a bu du vinaigre. Sa chevelure était pimpante, pompeuse et prétentieuse. Ses doigts, ses épaules, son cou étaient continuellement et involontairement crispés, secoués et tordus, lorsque de petites convulsions nerveuses et irritées venaient le saisir. Il était habillé dès le matin, et je ne le surpris jamais en négligé. Ce jour-là un habit de soie jaune rayée de blanc, une veste à fleurs, un jabot, des bas de soie blancs, des souliers à boucles, lui donnaient un air fort galant.

Il se leva avec sa politesse accoutumée, et fit deux pas vers moi, en ôtant ses lunettes vertes, qu’il posa gravement sur sa table. Il me salua en homme comme il faut, s’assit encore et me tendit la main.

Moi, je ne la pris pas comme d’un ami, mais comme d’un malade, et, relevant ses manchettes, je lui tâtai le pouls.