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trouvait dans le voisinage. C’est une sorte de bois qui est très estimé en Angleterre, dont on fait ordinairement des bières, des boîtes de deuil, etc., etc. Un acheteur se laissa entraîner, et en fit l’acquisition sans voir le domaine, comme il est presque toujours d’usage dans ces sortes de marchés. Lorsqu’il alla visiter sa nouvelle terre, il la trouva presque entièrement dépouillée d’arbres, et tout le hanging wood qu’il y vit, consistait en une potence qui en était proche.

Comment aurais-je pu visiter la cité, sans visiter son véritable lion, son dominateur, en un mot Rothschild ?

Ici il n’habite qu’un local de mince apparence, car son hôtel se trouve dans le West end of the town. Dans la petite cour du comptoir, je trouvai le chemin barré par un chariot chargé de barres d’argent, et j’eus peine à parvenir jusqu’à cet allié principal de la sainte alliance. Je rencontrai chez lui le consul de Russie qui venait faire sa cour. C’était un homme fin et sensé, qui savait jouer son rôle dans la perfection, et qui accordait fort bien ses manières respectueuses avec une certaine dignité d’autant plus difficile que l’autocrate de la cité faisait moins de cérémonies. Après que je lui eus remis ma lettre de crédit, il me dit avec ironie que nous étions fort heureux, nous autres gens riches, de pouvoir nous amuser, et de courir le monde, tandis que lui, pauvre homme, était obligé de porter des fardeaux si pesans ; et il continua à se plaindre de ce que pas un seul pauvre diable n’arrivait en Angleterre sans lui demander quelque chose. La veille encore, dit-il, un Russe était venu mendier chez lui, ce qui fit faire une grimace aigre-douce au consul, et, reprit-il, les Allemands ne me laissent pas un moment de tranquillité. Ce fut mon tour de faire bonne contenance. Lorsque la conversation se tourna ensuite vers les affaires politiques, nous lui accordâmes fort gracieusement que sans lui l’Europe ne pourrait pas exister, mais il s’en défendit avec modestie, et dit en souriant : « Oh ! non, c’est une plaisanterie que vous faites, je ne suis rien de plus qu’un domestique dont on est content, parce qu’il fait bien les affaires qu’on lui confie, et à qui on laisse gagner quelque chose par reconnaissance. » Ceci fut dit dans un langage tout particulier, demi-anglais, demi-allemand, mais avec une assurance imposante. Ce langage original me parut très caractéristique dans un homme auquel on ne peut refuser une sorte de génie, et à sa façon un grand