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VOYAGE EN ANGLETERRE.

d’Angleterre, avec une multitude de grandes et petites salles éclairées d’en haut et où sont placés les différens comptoirs ; des centaines de commis travaillent et conduisent mécaniquement ces colossales affaires. À cette vue le nil admirari devient assez difficile, surtout pour un pauvre Allemand qui admire volontiers ; en effet, en entrant dans Bullion-Office où l’on conserve les lingots, les monceaux d’or et d’argent qui s’y trouvent semblent réaliser les trésors des Mille et une nuits.

De là je me rendis à l’hôtel-de-ville où parlait justement le lord maire, autrefois simple libraire, mais qui ne représentait pas mal sous son manteau bleu avec une chaîne d’or, et qui avait des façons toutes monarchiques. Le lieu de la scène était une salle d’une médiocre grandeur, remplie à moitié par la plus basse populace. Il était question du thème le plus fréquent en Angleterre, d’un vol, et comme le coupable, qui semblait aussi impudent qu’ennuyé, avoua la chose sans trop de détour, le drame eut une fin très prompte.

Et nous continuâmes d’errer dans la cité tumultueuse où l’on se perdrait comme un atôme, si on ne surveillait sa personne à droite et à gauche, pour ne pas être embroché par le brancard d’un cabriolet qui vient trop près du trottoir, ou écrasé par une diligence, arche énorme qui roule avec fracas.

Enfin nous arrivâmes à un café sans apparence et horriblement obscur nommé Garroway’s Coffeehouse, dans un misérable local où l’on met chaque jour à l’encan des domaines et des palais d’une valeur presqu’inexprimable. Nous nous assîmes fort sérieusement, comme si nous étions très curieux de faire de telles acquisitions, et nous admirâmes l’amabilité rare et l’adresse presque incroyable du commissaire-priseur chargé d’exciter l’envie d’acheter chez ses auditeurs.

Il se présenta avec un bel habit noir et une perruque, comme un professeur dans toute la dignité de sa chaire. Sur chaque domaine, il tenait un charmant discours qu’il ne manquait pas d’assaisonner de beaucoup de plaisanteries, et en même temps louant si fort chaque objet, qu’on aurait juré que toutes ces choses se vendaient pour la plus mince bagatelle. Mon domestique de place me conta que ce célèbre commissaire-priseur avait été enveloppé précédemment dans un procès désagréable. Il avait fait monter très haut un bien de campagne en louant surtout la situation romantique du hanging wood (bois à pendre) qui se