Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
REVUE DES DEUX MONDES.

veau notre bloc qui s’en va ? Et la statue aussi de la France a été arrachée de la pyramide du présent. Quand sortira de son atelier le divin sculpteur avec son tablier de cuir pour la remettre debout sous la pluie et l’orage dans sa niche de marbre fin ?

La vue que l’on a de cet endroit est pleine de grandeur et d’originalité. Au bas de la levée était encore le fossé où le général français avait été renversé ; il y avait tout à côté une barque de pêcheur échouée, symbole d’un autre naufrage.

Aussi loin que les yeux pouvaient voir, le marais s’étendait sous des joncs, de hautes herbes. Partout la plaine était baignée sous une eau noire et livide d’où ne sort jamais aucun bruit, ni un chant d’oiseau, ni une voix d’homme. D’étroites chaussées de quatre pas de large, que j’avais peine à apercevoir, rampaient sur cette vaste marre ; à son extrémité, le clocher de Ronco surgissait de la vase et en marquait le rivage. De grands nuages pesaient alors sur ces flaques d’eau où ils étendaient leurs larges drapeaux saignans. Une quantité innombrable de mouches luisantes qui pullulent vers le soir, jaillissaient comme autant d’étincelles vivantes de chaque touffe d’herbes. L’horizon était fermé au loin par les masses bleuâtres des Alpes Tarentines. Il y avait dans cette vaste étendue que mes yeux embrassaient, un repos qui me parut sublime ; on eût dit que ce pesant horizon et cette plaine immobile s’étaient épuisés une fois à jeter tous leurs bruits dans le nom qu’ils avaient les premiers vomi de leurs roseaux, et qu’ils étaient retombés depuis ce temps, fatigués de leur œuvre, dans un mortel silence.

Les contours des marais sont tracés par des champs de blé, par des bouquets d’érables, des catalpas ; une admirable culture vient s’y noyer de tous côtés. C’est que partout, en vérité, la république a labouré en Italie avec un soc profond ses champs de bataille. Elle a aiguillonné son bœuf en temps utile ; j’ai suivi à la trace sa charrue, son engrais était bon. Elle a semé où il fallait son grain de Rivoli, d’Arcole, de Castiglione, et les oiseaux en ont porté les germes dans les champs. À présent il croît de beaux arbres dans le sillon de ces boulets. Les jeunes