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ici il est incroyable ; mais ici il s’agit d’une gloire à part dans les gloires du monde ; mais ici si la poésie manque, elle est sans excuse, le héros est assez grand pour être au-dessus même des parodies de théâtre, je ne puis pas donner une plus juste idée de sa grandeur.

Vous autres, Américains, vous comprenez Bonaparte mieux que nous. Vous en êtes plus éloignés. Les Arabes le comprennent encore mieux que vous, ses pas sont empreints sur la terre d’Égypte plus que les pas de Josué, qui fit reculer le soleil. Bonaparte au contraire l’a avancé ! Je lisais l’autre jour l’histoire d’un voyageur qui m’a paru sublime, et que voici :

Ce voyageur s’en va dans le désert et tombe dans un camp d’Arabes, des Arabes accroupis, haletant sous le soleil, de vrais Arabes ! Notre homme, qui ne sait s’il a affaire à des amis ou à des ennemis, s’avance les bras levés au ciel, et pour saluer dignement ces croyans en guenille, il s’écria : — Mahomet ! Mahomet !

Grand et digne salut sans doute, et dont il n’y a pas de peuple qui ne dût être fier. — S’écriât-on Jésus-Christ en France ! ou Luther, en Allemagne, je trouve le salut de notre compatriote admirable de tout point.

Mais ce qui est bien plus admirable, c’est la réponse des Arabes, c’est le salut qu’ils ont rendu au Français ! Figurez-vous qu’à ce cri de Mahomet ! les Arabes se sont dressés tout debout, et qu’ils ont levé leurs deux mains vers le ciel en criant : — Bonaparte ! Bonaparte !

Si vous m’aviez demandé tout simplement : Où est la poésie ? sans me dire où est la poésie en France ? je vous aurais répondu : — La voilà !


Mais laissons l’histoire et les anecdotes ; revenons à mon conte, à mon roman des premières pages : je ne finis pas ma dissertation littéraire qui m’ennuie, j’aime mieux achever mon roman qui m’amuse. Nous avons laissé nos deux jeunes gens sur la grande route, cherchant la France. Arrivés à une certaine auberge, ils s’arrêtent pour prendre quelque repos. L’auberge est pauvre, le