Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/458

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
454
REVUE DES DEUX MONDES.

affreuse musique qui s’approche encore ! Et c’est jeudi ! Tous mes malheurs me sont arrivés ce jour-là !

— Tu en as eu beaucoup, n’est-ce pas ?

Eugénie ne remarqua pas ce léger persifflage, uniquement occupée qu’elle était de l’absence de son mari.

— Il faut vraiment, dit-elle enfin, que madame de Merci ait bien peu de conscience pour donner un dîner par un temps pareil.

— Aurais-tu préféré que ton mari s’excusât et ne se rendît pas à son invitation, sous prétexte de la pluie ? Un tel refus eût pu prêter à rire à notre voisine.

— Je l’ai senti, répondit madame de Barènes en soupirant. Aussi n’ai-je rien osé dire ; mais mon cœur s’est péniblement serré au moment du départ… Il devait hâter son retour,… être ici à dix heures,… et minuit va sonner !

— La pendule avance.

Eugénie secoua la tête avec doute.

— Vous croyez vraiment, mon amie, qu’il n’y a pas de danger ?

— Pas le moindre. Le temps est mauvais, la route n’est pas belle, il est vrai ; mais avec un manteau et un bon cheval, tout cela est peu de chose. D’ailleurs un soldat a souvent à faire des marches plus pénibles. Puis la marquise ajouta, après avoir regardé un moment sa craintive parente, dont les jolis doigts, tout insouciante qu’elle était de ce regard, reformaient les anneaux de sa chevelure : Sois franche, mon enfant, tu n’as pas grand’peur en cet instant de la pluie et des ravins, mais tu crains les agaceries de madame de Merci ?

Eugénie se prit à rire.

— Ah ! je voudrais bien n’avoir que cette frayeur ! vous me verriez moins agitée. Octave m’aime trop pour que je puisse avoir une inquiétude semblable ; puis je connais ses goûts. Les minauderies de madame de Merci sont faites pour lui tout en pure perte. Savez-vous qu’il m’a conté tous ses anciens péchés ?

— Ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux.

— Pardonnez-moi, mon amie ; car, s’il m’eût caché le passé,