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nia l’existence du mal et prêcha la réhabilitation de la matière. Y a-t-il du mal ? Y a-t-il du bien ? Qu’est-ce que le mal ? Qu’est-ce que le bien ? Il n’y a pas de mal, s’est écriée l’école ; l’homme n’a point à lutter contre une puissance funeste ; ce qu’il a pris pour le mal n’est que l’imperfection de sa propre science et l’insuffisance de sa propre force ; mais plus il saura, plus il pourra vouloir et pratiquer ce qu’il aura voulu, plus il verra s’effacer et s’évanouir ce fantôme qui, jusqu’à présent, a terrifié le genre humain. L’homme n’est pas déchu ; sa vie ne doit pas être une épreuve lugubre, une expiation funèbre ; l’homme est de plus en plus perfectible pour devenir de plus en plus heureux : plus sa carrière est progressive, plus elle s’embellit et devient riante. Disparaissent à jamais les ténèbres, les terreurs et la nuit du royaume de Satan ; l’enfer est un mensonge, le mal est une chimère ; l’homme n’a, dans le temps et l’espace, d’autre obstacle que lui-même : ce sont ses propres illusions qu’il doit disperser avec son épée comme des apparitions menteuses.

Cette levée de boucliers contre le héros infernal de l’Évangile, du Dante, de Milton et de la mélancolie moderne, est audacieuse et bruyante ; on dirait un défi de la force humaine qui s’exalte, jeté à la fatalité qui pèse sur elle : c’est encore une réclamation énergique contre cette humilité qui fit de la résignation son héroïsme, et mit sa grandeur à courber la tête. Pour moi, je donne la main à cette insurrection ; je la crois légitime, et je la regarde comme un fruit naturel de la température de mon siècle ; seulement il y a des mystères que nous ne savons pas encore. Pourquoi dans l’histoire tant de catastrophes inépuisables ? Pourquoi dans l’homme tant d’irrémédiables douleurs ? J’ai toujours été frappé de la tristesse qui nous ronge le cœur, et dès mon début dans la pensée, j’écrivais ces mots : « Il est vrai, l’homme porte partout avec lui les déchiremens d’un mal inconnu, d’un mal incurable ; mais n’importe, il doit marcher, il doit agir ; mais sa force et sa gloire est de n’en rien dire, c’est l’enfant de Lacédémone expirant en silence sous la morsure du renard[1]. » On peut augurer in-

  1. Introduction générale à l’Histoire du droit, page 175.